texte Chantal Parenteau, Geneviève Malenfant-Robichaud et Esther Auger au nom des Pétroliques anonymes
CONFÉRENCE
de monsieur Éric Notebaert, M.D., M.Sc.
Le 13 décembre 2018 à 19 h 30
Musée du Bas-Saint-Laurent
300, rue Saint-Pierre, Rivière-du-Loup
Clinicien-chercheur à l’hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. Professeur agrégé de la faculté de médecine de l’Université de Montréal. V.-P. de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement. Membre de Médecins pour la survie mondiale, Canada. Il nous offre une conférence au cours de laquelle il explique en détail le processus de fracturation hydraulique, la toxicité des produits employés et leurs effets sur le corps humain et sur l’environnement, notamment sur l’eau.
Pétroliques anonymes : Vous êtes impliqué dans plusieurs domaines, dont celui de reverdir nos hôpitaux, c’est-à-dire changer les pratiques des hôpitaux afin de réduire les impacts environnementaux qui ont des conséquences sur notre santé et celle de l’environnement. En d’autres mots, qu’elles soient écoresponsables. Avec l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, vous avez commandé une étude à des chercheurs du Département de génie civil de l’Université McGill et de l’École polytechnique de Montréal au sujet de la sécurité des cyclistes à Montréal. Vous êtes présentement en tournée avec Coule pas chez nous ! et la Fondation David Suzuki pour présenter votre conférence sur le gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur cette question ?
Éric Notebaert : L’Association canadienne des médecins pour l’environnement s’intéresse à la question de l’impact de l’énergie sur la santé depuis longtemps. Nous avons entre autres été l’un des groupes responsables de la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2. Nous avons contribué à la demande d’un moratoire sur l’uranium. Nous avons fait des études sur les éoliennes, pour voir s’il y avait ou non des impacts sanitaires. Pourquoi la fracturation hydraulique ? Parce qu’au cours des dernières années, plusieurs études sont sorties et ont démontré qu’il y avait véritablement des risques pour la santé associés à cette pratique. Ça nous a inquiétés beaucoup, alors j’ai revu toute la documentation à ce sujet. C’est assez probant, disons.
P. A. : En quoi l’exploitation du gaz de schiste présente-t-elle un risque de santé publique ?
É.N. : Des études ont particulièrement démontré des problèmes chez les femmes enceintes exposées. L’un des problèmes est le retard de croissance intra-utérin, soit des bébés de petit poids. Jusqu’au quart des bébés avaient un petit poids pour leur âge gestationnel. D’autres études ont montré des malformations cardiaques ou du système nerveux central. D’autres encore, une augmentation de la prématurité. Des études ont aussi montré des augmentations des cas d’une forme de leucémie chez les enfants vivant dans les zones exposées. Même s’il s’agit d’un secret industriel, on sait que plusieurs produits utilisés par l’industrie sont cancérogènes ou sont des perturbateurs endocriniens. Je vous ai parlé des principales, des plus inquiétantes, mais il y en a beaucoup d’autres. La documentation commence à être vraiment impressionnante, au point où de grandes associations américaines se sont inquiétées. Ça a amené, entre autres, l’État de New York à demander un moratoire complet sur la fracturation hydraulique.
Si on parle de santé globale, il y a aussi tous les facteurs psychosociaux qui font partie de la santé humaine. Ces projets suscitent souvent beaucoup de stress et d’anxiété pour les populations riveraines ou avoisinantes. Dans le cas des autochtones, il y a souvent une destruction du territoire et une perte de la mémoire des lieux. Il y a aussi des impacts en agriculture. Il y a eu des cas où les terres ont été contaminées. On ne peut pas parler d’agriculture biologique si on arrose les champs avec ces eaux usées. Les forages peuvent aussi remettre en activité la radioactivité naturelle des sols.
P.A. : Y a-t-il des enjeux particuliers pour les travailleurs de l’industrie ?
É.N. : C’est un aspect qui est très peu surveillé par l’industrie, mais il y a plusieurs enjeux. Par exemple, la silice peut amener une maladie grave et souffrante appelée la silicose qui amène un cancer de l’enveloppe des poumons. Les travailleurs sont aussi exposés au benzène et au BTEX, des produits qui peuvent induire des cancers et des problèmes respiratoires, et au sulfure d’hydrogène, qui peut amener des troubles neurologiques. Les travailleurs sont les premiers exposés, autant aux effets des produits toxiques qu’en cas d’accidents.
P.A. : Quelles sont les populations les plus vulnérables ?
É.N. : Évidemment, les enfants et les femmes enceintes sont les plus à risque. La seule chercheure au Canada à s’intéresser à la question des mesures est Dre Élise Caron- Beaudoin, de l’Université de Montréal. Elle étudie la métabolisation du benzène chez les femmes autochtones au nord-est de la Colombie-Britannique. Elle a démontré la présence de sous-produits du benzène dans leurs urines. Or, s’il y a présence dans l’urine, les foetus y sont forcément exposés. La contamination vient de l’eau, mais aussi de l’air et des sols. Nous sommes encore dans les hypothèses en ce moment. Nous mesurons une association entre la pollution et la hausse de maladies, mais pas nécessairement des liens de cause à effet. Par exemple, pour un endroit donné, le taux de cancer peut être similaire entre les groupes puisant l’eau de puits artésiens contaminés et ceux qui s’abreuvent à une autre source, mais ces gens respirent quand même le même air… C’est encore très embryonnaire comme recherches. Plusieurs associations américaines ont malheureusement été obligées de dire qu’elles n’étaient pas capables de prouver les effets, car il n’y a pas eu d’étude épidémiologique avant l’arrivée de l’industrie. On mesure le « après », mais on ne connaît pas le « avant »… Néanmoins, elles disent que le principe de précaution doit prévaloir. De plus, en Oklahoma et en Pennsylvanie, on a noté une augmentation des petits tremblements de terre. Ils entraînent des bris de conduites ou d’aqueduc qui ont des conséquences sur la vie des gens.
Il y a eu un boom dans les cinq ou six dernières années du nombre d’études qui relient la hausse des problèmes de santé et la présence de l’industrie. Une revue exhaustive de tous les impacts environnementaux et de santé a même été publiée cette année. Les données sont claires, probantes, incontournables. On ne peut plus dire qu’il n’y a pas de risque pour la santé. L’incertitude porte sur l’ampleur des risques. Au Québec, il ne faut pas rentrer là-dedans. Il vaut mieux dire non immédiatement.
P.A. : La santé publique est-elle un enjeu important dans les discussions sur les changements climatiques ?
É.N. : C’est un enjeu très important qui est de plus en plus mis de l’avant dans les dernières années. L’Organisation mondiale de la Santé a publié des travaux qui indiquent clairement qu’il y aura des transformations majeures du climat et de la santé publique si nous ne réagissons pas bientôt. Les instituts de santé publique commencent à s’intéresser aux effets des changements climatiques et des GES sur la santé, autant ici qu’ailleurs dans le monde. Un grand nombre d’associations de santé américaine se sont prononcées pour tenter de stopper l’industrie du gaz de schiste. Un aspect important est la question du méthane et de l’éthane. L’industrie a beau dire que la fracturation amène moins de GES, mais c’est complètement faux ! Juste avec les émanations fugitives, il y a des quantités importantes de méthane et d’éthane qui sont remises dans l’environnement et qui contribuent au réchauffement climatique. Et nous le savons, le changement climatique est le problème de santé publique numéro 1. À terme, c’est le seul problème qui risque de mener à la destruction de l’humanité.
P.A. : Quelle est la position de l’Institut national de la santé publique au Québec ?
É.N. : L’Institut de la santé publique au Québec s’est peu impliqué dans la question jusqu’à présent, car les publications sont relativement récentes. Les recommandations américaines en santé publique datent de quelques années seulement. Les positions officielles en santé publique au Québec tendent généralement à être très nuancées et vont plutôt dire qu’il faut faire attention, qu’on ne connaît pas encore les conséquences. Il faudrait que la santé publique se positionne. Une vingtaine des recommandations de la santé publique américaine sont très claires, il faut arrêter le développement de cette industrie (voir les recommandations du groupe de travail en 2014 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25036093).
P.A. : Quelles sont les solutions et les actions à entreprendre pour améliorer la situation ?
É.N. : C’est clair, nous n’avons pas besoin de plus d’énergie, pas besoin de forages ; c’est une avenue qui mène à un cul-de-sac, disons non à cette industrie. Un moratoire définitif reste la meilleure solution. C’est la même situation que pour la centrale nucléaire de Gentilly, les risques pour la santé sont présents et importants. Nous avons la chance de ne pas avoir trop foré jusqu’à présent, il est encore temps de reculer au Québec. Dans l’Ouest canadien, les populations sont aux prises avec des milliers de puits ! Les associations de santé là-bas peinent à obtenir des études pour connaître les conditions avant et après les forages. Leur situation démontre à quel point il est difficile de réclamer un moratoire une fois que l’industrie est déjà bien installée.
P.A. : La population en général a-t-elle des moyens pour améliorer cette situation ?
É.N. : Au Québec, nous devons plutôt miser sur la réduction de la consommation d’énergie et le développement des énergies renouvelables. Il faut faire des pressions sur le gouvernement pour aller dans le bon sens. Et pas seulement au provincial. Il faut aussi inclure les municipalités et les MRC et les inciter à refuser le passage à cette industrie. Jusqu’à preuve du contraire, les élus sont des gens parlables et intelligents ; donc nous irons les rencontrer !