En réponse à la « Lettre ouverte aux médecins spécialistes »

Texte | François Caron MD, médecin interniste du Centre Hospitalier du Grand Portage
Photo | Parentingupstream de pixabay.com

Merci pour cette vision lucide d’une situation complexe. Je me suis senti interpelé, et j’ai cru bon de partager mon expérience personnelle, dans le tumulte des dernières semaines. Une situation comme celle que nous vivons impose un stress sur tous les systèmes qui nous font vivre, incluant le système de santé, l’approvisionnement alimentaire et le système d’éducation. Quand on met une chaine sous tension, c’est le maillon le plus faible qui explose, et dans le cas actuel, il s’agit des soins que nous portons aux personnes âgées.

Alors qu’on s’affairait à décupler le nombre de chambres à pression négative à l’hôpital, qu’on dressait des paravents de plexiglass, qu’on effectuait le décompte des ventilateurs, qu’on en commandait des nouveaux, et qu’on se demandait déjà comment choisir à quel patient nous allions attribuer le dernier ventilateur quand on en serait rendu là…

Alors que nous révisions nos listes de garde et nos listes de patients pour protéger les plus vulnérables et assurer une couverture en tous temps, si certains d’entre nous s’avèrent infectés ou en quarantaine…

Alors que nous tentions de tout apprendre sur cette nouvelle maladie dont personne ne peut se prétendre l’expert, naviguer dans l’incertitude pour être prêts quand la vague viendrait…

Alors que les médecins spécialistes passaient d’anges gardiens à profiteurs dans l’opinion publique…

Nous avons négligé notre angle mort. Et pourtant, nous avions été avertis. La politique Vieillir et Vivre Ensemble, Chez Soi, dans sa communauté, au Québec a été publiée en 2018 et vise à renforcer les services visant le maintien à domicile. Dans les faits, les centres hospitaliers récoltent encore et toujours la part du lion dans l’attribution des ressources en santé. C’est dans les hôpitaux que j’exerce d’ailleurs la totalité de mes activités, comme la majorité des médecins spécialistes. C’est l’endroit où j’ai été formé, où je pratique depuis 5 ans, et où je me sens le plus utile.

Mais cette semaine, ça a changé.

Quand le premier ministre a lancé un appel aux médecins spécialistes pour prêter main forte aux CHSLD, plusieurs ont levé la main (2300 la première journée). Nous avons été du nombre. Pour des raisons épidémiologiques, nous n’avons pas été appelés à nous rendre à Montréal, mais avons plutôt été réaffectés dans la région. Le CHSLD ayant été pourvu par d’autres volontaires, nous avons été dirigés vers les soins à domicile.

C’est une expérience singulièrement déstabilisante et enrichissante. J’ai dû adopter un rôle hybride, une part travailleur social, une part infirmier, une part médecin. On nous a attitré les 1200 patients orphelins de médecin de famille, desquels les plus prioritaires ont été extraits. Je dois souligner là dessus le travail de l’équipe des soins à domicile du CLSC qui ont permis d’offrir ce service inédit à une semaine d’avis. Dans la plupart des cas, je m’assoyais et j’écoutais, je prenais la pression, et je repartais rassuré. On peut imaginer ces personnes debout sur un lac gelé. Ce qu’on essaie de faire, c’est sonder l’épaisseur de la glace. Souvent, on pourrait sauter et rien ne bougerait. Mais dans certains cas, quand on entre dans la maison, on entend la glace craquer.

Le message ici en est un de collaboration. Les médecins spécialistes veulent faire partie de la solution. Nous sommes présents malgré la diminution des activités à l’hôpital, et nous nous inquiétons pour ces patients que nous ne voyons plus, ceux que mon collègue a baptisé les « orphelins du COVID ». Nous serons présents lorsque la vague frappera, et nous serons présents au lendemain de la crise, pour continuer à renforcer les structures de soins et soutenir les organismes communautaires.

J’ignore encore si le mode de rémunération tant controversé s’appliquera à ma nouvelle tâche, mais si c’est le cas, les membres de mon équipe et moi avons convenu de la verser à la Fondation de la Santé, dans un fonds dédié à l’amélioration des soins aux personnes âgées.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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