Texte | Marie-Amélie Dubé
Photo | Alexis Boulianne
Entrevue avec Maurice Vaney, président des Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant, fondateur et directeur artistique du Rendez-vous des Grandes-Gueules.
Je me souviens que la dernière fois qu’on s’est vu·e·s, tu m’a dit que la 25e année du Rendez-vous des Grandes Gueules allait être ta dernière.
Avant-dernière. (Rires.) Parce que j’ai déjà des idées et établi des contacts pour l’an prochain ! Le sujet de la 26e édition m’interpelle beaucoup. Il y a tellement de conteur·euse·s de partout qui méritent leur chance, une belle matière brute, si je puis dire. C’est ça aussi, le principe des Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant. On accompagne les gens dans l’esprit des guildes de métier du Moyen Âge, avec l’apprentissage sur le tas, la transmission et le partage des savoirs. Ça a toujours été ça pour moi. Comme j’aime le dire, on est passé du savoir-FER (clin d’oeil à la Forge à Bérubé) au savoir-dire ! Notre mission de départ a toujours été d’aller chercher la mémoire des lieux et de donner la parole aux gens du milieu, local et régional, au travers d’événements qui leur donnent le goût de prendre la parole. Je viens de la sociologie et de l’anthropologie, où on a toujours dit que les sociétés traditionnelles étaient refermées sur elles-mêmes, mais en jasant avec mon voisin, ou encore un agriculteur qui faisait sa récolte de blé à la faux, j’en ai ramassé des histoires. Donc c’était pour ça aussi, le festival. Souvent, les gens de la place ne se rendent pas compte de la richesse qu’ils ont. Dès la première année, on a créé un atelier de récits de vie à Saint-Jean-de-Dieu, et ça a donné des résultats extraordinaires. Il y a aussi les Cafés de la parole, où l’on récolte la mémoire des lieux et des gens, et la Grande menterie, où le conteur et humoriste Boucar Diouf a pris la parole pour la première fois. Pour les Compagnons, tout cela permet de partager la mémoire, de donner la parole aux gens et aussi de préparer la relève du conte. On a développé toutes sortes de partenariats sur le territoire pour aller chercher le plus de gens et de nouveaux ·elles conteur·euse·s.
Cette année, pour le 25e, après une pandémie et une longue réflexion, le thème porte sur la rencontre.
Oui. Pour rendre audibles les paroles qui sont cachées dans les médias de masse et partout. En ce moment, ce sont des paroles qu’on n’entend pas nécessairement. Ça sera la rencontre de différents porteur·euse·s d’imaginaires. On va parler et s’écouter. Ça fait trois ans maintenant qu’on fait une soirée de poésie, alors il y aura plusieurs poètes à l’affiche, ce qui montre qu’on a débordé du conte. Au départ, on était vraiment dans le conte traditionnel, et aujourd’hui, on fait place à l’innovation et à la relève.
À quel moment madame Joséphine Bacon est-elle intervenue dans ta tête pour le festival?
Je l’avais invitée au début du festival, alors qu’elle n’était pas du tout connue du monde extérieur à sa communauté. Je cherchais une conteuse des Premières Nations. Et au festival, ça a été la toute première fois qu’elle contait devant un public non autochtone. Alors évidemment, c’était très stressant pour elle. Après un moment, elle a figé sur scène, puis elle s’est remise à conter en innu afin de renouer avec ses racines et reprendre le flot de son histoire en français. Elle se souvient très bien de ça et me dit encore : “ Mais pourquoi tu m’as invitée ? Je ne savais pas ce que je faisais là ! » (Rires.) Donc oui, dès les premières années, on a donné la place aux paroles des Premières Nations, ces imaginaires et récits qu’on ne connaît que très peu. Et cette année, on pousse encore plus ça. On va avoir des contes autour d’un feu de camp, tout le monde en cercle. Joséphine est tellement d’une grande simplicité et authentique, une femme vraiment impressionnante.
Qu’est-ce qui t’a toujours donné le goût de continuer à chaque année?
J’aime beaucoup le travail d’équipe et le fait de développer des projets. Et tant que le projet n’a pas atteint ses limites, il faut continuer de le travailler. C’est peut-être un problème que j’ai… déléguer et laisser aux autres après un certain temps. Même si je sais qu’on a une bonne relève et que je suis confiant pour l’avenir, tu sais, on a toujours envie de laisser sa marque quelque part, son empreinte. Alors oui, je crois que c’est ce qui me tient, un peu d’égocentrisme (Rires) ! Mais non, c’est merveilleux de voir un projet de fou qui se réalise. Je ne savais même pas qu’il y en avait un à Montréal! Peut-être que l’avoir su, je ne l’aurais jamais démarré à Trois-Pistoles.
Donc chaque année, tu ne sentais jamais que tu pouvais aller plus loin? Il y a tellement de choses à faire ! J’aurais une programmation pour les dix prochaines années ! (Rires). Mais à un moment donné, je crois que ça serait bon qu’une personne prenne la relève à ma place, pour avoir une nouvelle vision ou orientation. Car même si j’ai créé le festival, il ne m’appartient pas. La job n’est pas finie, mais quelqu’un·e d’autre peut la poursuivre.
Es-tu quelqu’un d’oralité ou d’écriture avant tout?
Ça dépend des moments. Je me réveille souvent vers 3 heures du matin pour écrire ! En voici un exemple :
Écouter les murmures de l’humanité
Les rendre audibles
Les porter sur la place publique
Pour les partager
Suivre les traces de Joséphine
Toucher le lichen de nos vies
Goûter la salicorne de nos mots
Éviter les autoroutes de l’imaginaire
construites par les mass medias des multinationales
Le prêt-à-penser, le prêt-à-porter de l’imaginaire
Favoriser plutôt le flânage
sur des chemins de traverse
loin des abattoirs de nos imaginaires préfabriqués
As-tu déjà pensé à faire toi-même un recueil de contes ou de poésie?
J’y ai déjà pensé, oui. Mais ce qui m’a découragé dans la vie, c’est que j’ai eu la malchance, à 21 ans, de lire un écrivain français avec le même âge que moi. Quand j’ai eu fini, je me suis dit “ Ouf ! Non, je ne l’ai pas ! » (Rires.) Mais ça sera peut-être un projet après le festival. Je sais que je dois écrire, c’est essentiel pour moi. Parler sur scène, non. Je suis peureux ! Mais écrire, oui.
Si tu avais à choisir ton∙ta remplaçant∙e pour la présidence du festival, de quoi aurait-il∙elle besoin?
D’abord qu’il∙elle soit aligné∙e avec les valeurs du festival, bien sûr. Pas nécessairement suivre tout à la lettre, mais garder la mission de l’organisme à l’esprit. Aussi, qu’il∙elle soit ouvert∙e aux diversités et aux différences d’imaginaires, et être apte à mettre une équipe sur pied. Le travail d’équipe est vraiment la clé du festival. Écouter, être capable d’identifier les priorités et faire des choix.
Quel∙le∙s sont les conteur∙euse∙s qui t’ont marqué le plus?
Il y en a tellement, de toute origine et culture ! Il y a les défricheur·euse·s : Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Joujou Turenne et, du côté anglophone, l’Irlandais Mike Burns. Il y a Faubert qui, grâce à son travail de collecte de contes et de complaintes auprès des derniers portageur·euse·s de ce patrimoine, a su intégrer l’aspect traditionnel du conte dans un contexte contemporain, tant au niveau de ses spectacles traditionnels que dans ses créations. Il y a Jean-Marc Massie aussi que j’aime et avec qui je travaille bien parce qu’on est tous les deux un peu fous! (Rires.) Au niveau international, j’aime beaucoup Pépito Matéo, que j’aurais aimé inviter cette année, mais c’est difficile à faire avec la pandémie. Et finalement, coup de chapeau au Sergent recruteur qui a su inclure tout ce beau et bon monde sous un même toit, sans faire de jaloux·ses, et insuffler le renouveau du conte au Québec. Sans oublier les électrons libres Simon Gauthier et Nadine Walsh, des acteur·trice·s au centre du renouveau, mais en parallèle de la mouvance du Sergent recruteur.
As-tu vu tous les spectacles des 25 dernières années?
Oui, sauf un seul soir où j’ai été malade ! Mais c’est merveilleux tout ce qu’on a accompli durant ces années-là, et ce qu’on va continuer à accomplir. Le côté humain, le rassemblement de tous et toutes, le public toujours à l’écoute, notre disponibilité, la région… même les gens qui viennent de l’international nous disent à quel point il y a quelque chose de magnifique ici.