par Frank Malenfant, photos d’Alexis Boulianne
Elle s’est branchée aux Québécois sur tout le territoire à travers la tournée Faut qu’on se parle en même temps qu’elle se rattache à ses origines. Incursion dans l’esprit en ébullition de Maitée Labrecque-Saganash.
Frank Malenfant : Les jeunes, les autochtones et les femmes sont trois minorités dans le discours public. Or, vous êtes les trois à la fois. Quels modèles et quelles motivations vous ont menée à militer activement comme vous le faites ?
Maïtée Labrecque-Saganash : Il y a plusieurs raisons qui m’ont motivée. Je pense qu’il y a le fait qu’on soit plusieurs, non seulement plusieurs jeunes autochtones, mais aussi plusieurs jeunes femmes autochtones à vouloir se sortir de ce mutisme qui a été instauré par le silence de nos parents et à vouloir se sortir des expériences que les autres ont vécues avant nous. Je pense qu’on voit de plus en plus un désir de faire bouger les choses. Depuis le mouvement Idle No More, on a vu une recrudescence du militantisme autochtone assez marquée au Québec. Je pense que cela m’a beaucoup aidée. C’est sûr que le militantisme vient aussi avec son lot de côtés négatifs. Parfois, ce n’est pas facile. On vit beaucoup d’anxiété quand on est militante antiraciste. On vit de plus en plus de représailles sur les réseaux sociaux par des groupes comme La Meute, Pegida et surtout Gauchedroitistan. Ce dernier est un groupe plus ouvertement misogyne que les autres. Je l’ai qualifié de groupe haineux l’autre jour dans le Journal Métro et j’ai reçu des menaces. Des gens du groupe ont appelé mon rédacteur en chef et ils ont dit qu’ils allaient me trainer en cour. Mais bon, quand on compare ouvertement des noirs à des gorilles… En plus, leurs vidéos sont disponibles sur YouTube, à la vue de tout le monde, et ce qui s’y dit n’est pas très glorieux. Il y a donc toujours ce stress, mais je pense que d’avoir notre cercle de femmes militantes — et non militantes aussi — aide beaucoup. Nous sommes plusieurs jeunes femmes à retourner vers notre culture. Moi, ce sont ces femmes comme ma mère qui m’aident à démêler ce qui se passe. Parfois, elles me donnent de la force quand je me demande pourquoi je fais tout cela. Aussi, de militer dans une organisation comme Femmes autochtones du Québec m’aide beaucoup. Je suis entourée de femmes extrêmement dévouées et passionnées. On porte aussi à l’intérieur de soi le fardeau d’être autochtone. Et on va le porter pour toute la vie. Il y a quand même de grosses responsabilités qui viennent avec cet état, surtout par les temps qui courent. Nos langues et nos cultures meurent à un rythme assez incroyable. Oui, ce sont de grosses responsabilités.
F.M. : On ne peut pas parler de la place des femmes et du fait autochtone sans penser au cas des femmes et filles autochtones assassinées ou disparues. Croyez-vous que la visibilité de ces évènements et la Commission de vérité et réconciliation peuvent mettre en évidence le réflexe colonialiste qui existe encore visiblement au Québec et au Canada et ainsi permettre de l’attaquer ?
M.L-S. : Je pense que, dans l’opinion publique, oui. Pour ce qui est de la Commission de vérité et réconciliation, elle a appris à beaucoup de gens qu’il y avait des pensionnats autochtones au Canada et que le dernier a été fermé en 1996. Quand même, j’étais née ! On essaie toujours de projeter une image comme si ces évènements datent de 100 ans, mais non, c’est tout récent. Je pense que c’est aidant pour l’opinion publique. Ce n’est pas tout le monde qui se donne la peine de lire les rapports. Donc, les gouvernements ont la responsabilité d’appliquer les recommandations le plus possible. Ils ne le font malheureusement pas. Même si Justin Trudeau a un beau discours, a une belle coupe de cheveux, même s’il prend de belles photos, il ne fait pas grand-chose pour autant. Il nous a dit que la commission d’enquête était indépendante, et puis on se retrouve avec Michèle Audette qui est commissaire. Mais Michèle Audette a été candidate pour le Parti libéral ; ce n’est pas très indépendant. Voilà 40 ans qu’on demande cette commission d’enquête et le gouvernement donne un mandat de deux ans. Le racisme s’articule de plusieurs manières, le colonialisme aussi. Les audiences commencent en mai et il faut que le rapport soit livré en novembre. Il y a beaucoup de communautés éloignées à visiter et beaucoup de gens qui ont besoin de temps aussi pour aller témoigner devant une telle commission, des gens qui ont été affreusement déçus par les métiers coercitifs qui sont habituellement censés les protéger.
« Le racisme s’articule de plusieurs manières, le colonialisme aussi. »
Donc, les gens sont un peu désabusés et ils ont besoin de temps pour trouver le courage d’aller raconter leur histoire devant une commission. Le délai m’inquiète beaucoup. La commission que Philippe Couillard a annoncée aujourd’hui, c’est carrément parce que son gouvernement a mal géré la situation des femmes à Val-d’Or. Un peu pour nous faire taire, on nous lance une commission d’enquête comme celle-là. On a vu que le choix du juge est assez problématique aussi. J’espère que les gens vont comprendre et vont revendiquer des changements avec nous. Pour ce qui est des gouvernements, je pense qu’ils sont très au courant de ce qu’ils font. On a besoin d’aide.
F.M. : Par quels moyens croyezvous que le sort des autochtones du Canada pourrait s’améliorer dans une perspective d’égalité entre les nations ? Que doit-on attendre de chacun de nous pour faire avancer les choses de manière constructive ?
M.L-S. : J’ai toujours cru que la vraie réconciliation se trouve dans les luttes environnementales, considérant le fait que nos langues racontent le territoire, que nos modes de vie et nos traditions sont liés au territoire. Sans notre territoire, nos cultures sont vouées à disparaitre carrément. Selon la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, il y a ce fameux concept de consultation, mais surtout de consentement sur les projets dits de développement public comme les oléoducs. Donc, je pense que la réconciliation passe non seulement par la lutte environnementale, mais elle passe aussi par la reconnaissance et la protection des langues autochtones. Au Québec, il y a déjà l’OQLF et la loi 101 qui protègent le français, mais il n’y a rien pour les langues autochtones.
F.M. : Comment expliquez-vous qu’au Québec, là où la question de la langue française est si importante, il n’y ait pas plus de considération pour la préservation des langues autochtones ?
M.L-S. : Justement, je trouve que c’est très ironique. Je pense qu’il y a du travail à faire là aussi. L’OQLF a commencé à renommer certains lacs. Les autochtones avaient nommé les fleuves, les lacs et les rivières bien avant que les colons le fassent. Juste de redonner le nom autochtone à ces plans d’eau, c’est déjà important. Il y a des toponymes qui commencent à changer, mais le Québec a un gros travail à faire — le Canada aussi — dans la préservation des langues autochtones.
F.M. : 2017 est l’année des fêtes du 150e du Canada et certaines voix s’élèvent pour que le gouvernement absolve Louis Riel afin de réhabiliter sa mémoire. Serait-ce trop peu trop tard ?
M.L-S. : Pour honorer la mémoire de Louis Riel, il faut non seulement l’innocenter, mais il faut aussi regarder pourquoi il s’est battu. Il faut regarder les motifs qui l’ont guidé à travers sa révolution. Si l’on n’est pas cohérent dans la protection des droits des autochtones, Louis Riel devient seulement symbolique. Il y a la communauté francophone du Manitoba, à Winnipeg, qui fait un travail exceptionnel pour redorer l’image de Louis Riel. Cette communauté est très fière du travail de celui-ci.
F.M. : Pour les lecteurs qui voudraient s’intéresser un peu plus à Louis Riel, est-ce qu’il y a quelque chose qui, à votre avis, représente bien ce qu’il était ?
M.L-S. : J’ai lu une très belle bande dessinée : Louis Riel l’insurgé par Chester Brown. L’auteur a bien su capter l’émotion. En plus, c’est quelque chose que de le voir en images.
F.M. : On parle souvent d’éducation, du besoin pour les Blancs de connaitre l’histoire du point de vue autochtone et du besoin des Premières Nations de se réapproprier la fierté de leurs langues et de leurs cultures. Or, les questions identitaires sont souvent abordées de manière négative, comme un repli sur soi. En quoi croyez-vous qu’un peuple profite à s’affirmer dans son identité, surtout un peuple autochtone ?
M.L-S. : On nous a tellement appris à avoir honte de qui nous sommes. C’est là que tout commence. On a appris à nos grands-parents, à nos parents à se haïr. Je pense que la plus belle réconciliation part de l’intérieur de soi. Il y a beaucoup à faire. On est tout juste rendu à décoloniser le nom de nos nations. Ce n’est pas les Cris, c’est les Eeyou, ce n’est pas les Montagnais, c’est les Innus, ce n’est pas les Atikamekw, c’est les Nehirowisiw. On dit Micmac, mais c’est Mik’maq. On dirait que les gens ne veulent pas faire d’effort et cela devient irritant. On décolonise un texte à la fois. C’est un beau voyage, que de revenir vers sa culture. Moi, je suis en train de le faire. L’iinu-yimu est une langue magnifique, très philosophique, très imagée aussi. Je vois à quel point les gens qui l’ont parlée s’émerveillaient devant leur environnement, devant les arbres, devant la lune, qu’ils considèrent comme des êtres vivants aussi. Il y a beaucoup à apprendre des langues autochtones. Par exemple, dans ma langue, il n’y a pas de féminin/ masculin, il y a seulement animé/ inanimé. On partage le même pronom que les arbres, que les rivières, que les caribous, que tout ce qui est vivant en fait. Même un arbre qui est coupé, on le considère comme encore vivant. C’est très lourd de sens. On voit aussi à quel point la femme autochtone a été déshumanisée, on ne la considère même pas comme un être humain. C’est triste de le constater, mais c’est une belle bataille. Je suis contente de voir qu’il y a de plus en plus de gens qui font la paix avec leur passé, mais aussi avec le passé qui leur a été imposé : les traumatismes intergénérationnels. On est maintenant capable de tourner la page, de prendre le flambeau et de changer les choses.
« Même un arbre qui est coupé, on le considère comme encore vivant. »
F.M. : L’aventure Faut qu’on se parle, à laquelle vous avez participé activement, se termine bientôt par la sortie du livre Ne renonçons à rien inspiré de toutes les suggestions recueillies. Qu’en retenez-vous personnellement et que souhaiteriez-ous que le Québec en retienne ?
M.L-S. : Je pense qu’on est plus qu’on pense à être vraiment au bout du rouleau. Il y a des luttes communes qu’on peut entreprendre. En fait, nous sommes victimes de notre propre malheur, nous ne nous sommes pas assez soulevés, nous ne nous sommes pas assez affirmés dans nos revendications. La tournée Faut qu’on se parle a été un franc succès. Les gens ont non seulement cru au potentiel du Québec, mais en leur propre potentiel aussi. Je pense que nous sommes défaitistes, au Québec. Je me suis faite nomade pendant un automne pour finalement voir qu’il y a de belles choses qui se passent ici. On a rencontré la communauté sourde qui démarre des projets d’économie sociale, des gens qui n’oeuvrent qu’avec presque rien dans le domaine communautaire en région, à Val-d’Or et à Rouyn, des gens qui veulent créer des coopératives d’habitation à Kuujjuaq. Il y a de belles choses qui se passent et on ne met pas assez en lumière ces initiatives. Je pense que c’est pour cela que les gens croient qu’il n’y a rien qui se passe. J’ai aussi appris qu’il y a des gens qui ne sont pas autochtones et qui portent le même amour que moi à la terre, au territoire. J’ai rencontré des gens qui avaient vraiment ce sentiment d’urgence de défendre notre territoire coute que coute. Je pense qu’encore une fois, comme je le disais tantôt, la réconciliation autochtone et allochtone va se faire aussi par la défense de notre fleuve, de nos rivières, de nos forêts. Il y a urgence d’agir. Même les gens de Sept-Îles vivent aussi les contrecoups de ces projets dits de développement. Je pense qu’on est capables de faire front commun et d’agir ensemble.