par Nicolas Paquet
Philosophe et paysan, Jean Bédard incarne avec cohérence une pensée écologiste qu’il a fait murir depuis bien des années. Sa réflexion sur notre rapport au monde se déploie avec poésie au coeur d’une trilogie de romans qui donnent à entendre les voix éclairantes des premiers peuples, auxquelles se joignent celles des Frères moraves venus en Amérique, et même celles des animaux et d’une bien vieille montagne. Avec le troisième roman, Le dernier chant des premiers peuples, l’écrivain nous transporte dans un univers à la fois fantaisiste et criant de vérité, tantôt à dos de baleine, tantôt au sommet du mont Caubvick dans le Nord-du-Québec.
Écrite dans sa demeure du Bic, mais aussi nourrie par de rigoureuses recherches et un séjour au Labrador, cette trilogie constitue un projet audacieux qui commence au temps d’avant la colonisation et se termine dans un futur pas si lointain. Chacun des trois romans met en scène des rencontres fondatrices. Dans le premier, une jeune femme innue effectue un grand voyage vers le Nord pour découvrir le peuple inuit qui l’adoptera. Jean Bédard a su présenter avec intelligence une époque qui n’a laissé que peu de traces et que trois siècles de colonialisme ont presque fait
disparaitre. Cette proposition romanesque forte nous apprend pourtant beaucoup sur la relation des premiers peuples avec leur territoire. L’écrivain nous transporte dans ce monde passé, dans un paradigme beau et différent, par une écriture puissante, presque exotique, qui transmet cet ailleurs, c’est un autre point de vue sur ce qu’est notre univers. Dans le deuxième roman, Le chant de la terre blanche, l’écrivain raconte la relation naissante entre le peuple inuit et l’Europe, avec l’arrivée des Frères moraves près d’ici, sur les côtes du Labrador. Mikak, jeune femme inuite, sera capturée avec son fils et amenée en Angleterre. C’est un pan de l’histoire méconnu et la richesse du partage dans un contexte aride et nordique qui s’offrent au lecteur. Enfin, Le dernier chant des premiers peuples sonne l’alarme d’une fin imminente de l’équilibre du monde et invite à un amour qui embrasse tous les éléments, des brins d’herbe où l’on s’étend et se repose jusqu’aux pierres qui dorment au pied de la plus vieille montagne du monde. Le tout porté par une écriture inventive et créatrice de moments d’émerveillement où l’amour de l’autre inonde tout le territoire.
« Ne l’oublie pas : nous vivons dans la poche ventrale d’une bête repue. Ce que l’on ne digère pas nous digère. Ici, sur la Terre sans arbres, le paysage, c’est notre grand-mère, son vieux coeur, sa poche ventrale. » (Extrait du livre Le chant de la terre blanche)
DES MOTS ET DES GESTES
Écrivain le matin, paysan le midi, mentor à ses heures, Jean Bédard a un parcours de vie qui surprend. Avec sa conjointe Marie-Hélène Langlais, ils ont fondé Sageterre, une ferme écologique communautaire. Au fil des ans, des jeunes et moins jeunes se sont greffés à l’aventure le temps d’un projet, qu’il s’agisse d’un jardin de plantes médicinales, d’une recherche universitaire ou de tout autre plan de vie ancré dans le sol local. Entre les classes de l’Université du Québec à Rimouski l’hiver, les champs et le grand potager l’été, et les moments d’écriture solitaire, la vie de Jean Bédard prend des allures par moment déroutantes. Dans toute cette activité, il reste toujours engagé dans le monde, sur la voie de la vérité. Fin observateur des forces et pouvoirs qui façonnent notre société, il préfère croire dans la pertinence des gestes du quotidien et dans l’énergie qui émane des petites communautés qui vont à contresens du discours économique actuel. On peut le suivre sur son blogue : https://jeanbedardphilosopheecrivain.wordpress.com/