par Adje Prado, avec la collaboration du Dr Pierrot Ross-Tremblay
L’identité est une question centrale pour les Québécois. Au cours de ma vie et de mon voyage à travers la province, je me suis souvent fait poser la question : « Tu viens d’où ?». Quand je réponds « Montréal », c’est souvent perçu comme insuffisant ou évasif.
C’est tout de même une question intéressante à poser pour un peuple qui est lui-même d’origine immigrante, un fait qui est souvent oublié. Il y a par contre des nations qui partagent depuis plus de 400 ans le territoire canadien avec tous les nouveaux arrivants, incluant les Québécois de souche. Pour mieux comprendre la situation des Premières Nations au Québec et au Canada, j’ai eu la chance de pouvoir discuter un peu du sujet avec le Dr Pierrot Ross-Tremblay, directeur du département de sociologie et professeur à l’Université Laurentienne et membre de la nation innue. Le Dr Ross-Tremblay se spécialise sur le sujet de l’amnésie culturelle. Son livre sur ce sujet sera publié dans quelques mois. Pour commencer toute discussion, c’est essentiel de définir la terminologie. J’ai demandé au Dr Ross-Tremblay comment il définit le fait d’être autochtone. J’ai rapidement découvert l’ampleur de mon ignorance et la complexité du sujet dans lequel je m’embarquais. Il m’a expliqué que la définition d’« autochtone » varie d’une personne à l’autre. L’Organisation des Nations unies définit le fait autochtone comme les gens qui occupaient un territoire avant d’être envahis ou conquis par des personnes d’une autre origine ou ethnicité et qui ont réussi à conserver leur coutume et leurs normes bien qu’ils aient été soumis à un système colonial.
« Les pères fondateurs du Canada, Ils avaient une vision raciste. »
Le gouvernement fédéral canadien définit plutôt l’autochtone comme étant une personne inscrite sur les registres officiels, ce qui exclut plusieurs personnes qui s’auto-identifient comme autochtones (les Inuits et des groupes métis). Finalement, les autochtones peuvent se définir eux-mêmes. D’après Dr Ross-Tremblay, les Innus se définissent comme étant d’abord des êtres humains. Pour bien comprendre l’identité de ce peuple, il faut comprendre son lien avec le territoire et ses récits anciens, qui soulignent ses valeurs et les éléments sacrés de sa culture. « [Être] autochtone n’a rien à voir avec la race ou la génétique. C’est une expérience, c’est une connaissance des récits. Aussi, c’est très, très lourd. Ne l’oublions pas. Ce n’est pas un numéro qu’on sort quand on va chez Walmart pour ne pas payer de taxes. Ça, c’est le produit de l’histoire. La philosophie qu’on porte est beaucoup plus profonde et plus dure à assumer parce qu’elle nous met en conflit avec la couronne, le récit de la culture dominante, et avec le paradigme du développement dans lequel on vit, mais aussi avec nos propres communautés et les “tyrannies intérieures” qui viennent de l’intériorisation des conceptions coloniales. » Le Dr Ross-Tremblay a précisé que l’illusion de la génétique autochtone proviendrait d’un contexte historique promu par les pères fondateurs du Canada. Ils avaient une vision raciste. John A. Macdonald, par exemple, parlait positivement de pureté raciale et négativement du métissage alors que Wilfrid Laurier parlait de l’appropriation du territoire des nations « sauvages ». Ce contexte a influencé la rédaction de la Loi sur les Indiens, le document qui est encore aujourd’hui à la base des relations entre le gouvernement fédéral et les populations autochtones.
Le système des réserves, des conseils de bande et des écoles résidentielles a été établi à ce moment-là en plus d’une variété de clauses limitant les droits et libertés des Premières Nations en ce qui concerne l’utilisation de leurs langues, l’expression de leurs cultures et même des aspects tels que la limitation des droits des femmes autochtones. Ce n’est donc aucunement surprenant que les conditions de vie des autochtones soient exécrables. Le système contemporain est construit sur une fondation déjà pourrie. Le Dr Ross- Tremblay suggère que beaucoup des problèmes auxquels les autochtones font face sont des conséquences des clauses de cet acte. Pour contrer cellesci, il faudrait promouvoir le pouvoir d’autodétermination des Premières Nations. Il suggère qu’il doit y avoir des changements générés par les autochtones eux-mêmes à travers des discussions dans des endroits dédiés à cette fin, des rencontres et une collaboration sur des projets communs. Malheureusement, le progrès de l’autodétermination des peuples autochtones au Canada semble être très lent. Le Canada vient juste de démontrer son appui à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en 2016, alors qu’elle a été rédigée et adoptée majoritairement en 2007. Le gouvernement fédéral est-il le seul à blâmer à ce sujet ? Malheureusement, au Québec, il semble y avoir une couche secondaire de colonialisme. Par exemple, lors de l’incident de 1981 à Restigouche, qui est rapporté dans un documentaire d’Alanis Obomsawin que l’on peut visionner sur le site de l’ONF, le ministre du Loisir, de la Chasse et de la Pêche sous René Lévesque, Lucien Lessard, a indiqué que les autochtones n’avaient pas le droit à la souveraineté parce que les critères étaient d’avoir un langage, une culture et un territoire propre à eux. Mais quelle est l’origine de cette vision biaisée de la situation au Québec alors qu’on aurait pu croire qu’elle serait plus réceptive que celle des autres provinces ? Selon le Dr Ross-Tremblay, il y aurait plusieurs facteurs entrant en jeu. Le manque d’écoute envers les Premières Nations en serait un. « Qu’on soit ici depuis 4 jours, depuis 400 ans ou depuis 4000 ans, on est avant tout des êtres humains. Ce qui est important, c’est notre rapport avec le territoire, avec la terre, et c’est là qu’on n’est pas prêt à entendre ce que les premiers peuples ont à dire. » Il fait aussi le lien avec la xénophobie qui accompagne le sentiment de la fragilité culturelle ici au Québec.
« Depuis 150 ans, être autochtone, c’est être quelque chose qui n’a pas d’avenir. »
La peur d’assimilation et la peur de l’envahisseur historique seraient des thèmes historiques récurrents. « C’est très dur au Québec. Le sauvage est rendu trop dur à attaquer. Là, c’est rendu le tour du barbare. C’est un genre de phobie du barbare qui menace l’identité, qui menace la culture. On voit ça un peu partout. Les premiers peuples connaissent ça parce que ç’a souvent été la menace à la civilisation, à la pureté de la civilisation. Quand c’est projeté, ça devient, de mon point de vue, un très grand malaise. » Ces grands malaises, accompagnés d’autres conditions méprisables qui définissent le traitement des autochtones au Québec et au Canada, ont eu des répercussions importantes sur la perception de soi des individus des Premières Nations. Cela a créé une situation de souffrance où les peuples opprimés ont vu leur histoire réécrite par le colonialisme. Le Dr Ross-Tremblay parle du système de réserves et des écoles résidentielles au même titre que d’un génocide. Le système visait à effacer des cultures en éliminant leurs traditions, leurs langages, leurs liens avec le territoire. C’était une situation visant à rendre la vie si dure que les options étaient soit de se laisser assimiler ou de résister alors que les couts de résistance augmentaient avec le temps. Voilà ce qu’est l’amnésie culturelle autochtone. Ce doit être tout un défi de vouloir conserver un héritage culturel de souffrance. Aujourd’hui, les conditions de vie dans beaucoup de réserves sont dignes du tiers monde. Le Dr Ross-Tremblay m’a expliqué qu’il avait visité Attawapiskat où il y a une mine de diamants, mais où il n’y a même pas d’eau potable. Beaucoup de Québécois sont séduits par le côté romantique de la culture autochtone. Combien de fois avezvous entendu la phrase « j’ai du sang autochtone » ? Qu’est-ce que cela signifie si l’on ne connait pas vraiment les traditions, les récits ou même la souffrance tout à fait contemporaine qui accompagnent cette identité ? « Depuis 150 ans, être autochtone, être Innu, être Anishinaabe, c’est quelque chose qui n’a pas d’avenir, n’oublions jamais ça. » Malgré ces mots, le Dr Ross-Tremblay et beaucoup d’autochtones maintiennent les liens avec leurs traditions et récits historiques. C’est une lutte de tous les jours qui mérite d’être respectée. Ce n’est peut-être pas l’hérédité qui nous rapproche, mais la compréhension, la fraternité et le respect du territoire. Peut-être qu’en s’écoutant plus et en se sensibilisant aux souffrances de l’autre, on trouvera des points communs autres que l’identité culturelle ou la génétique. On n’est pas tous autochtones, mais on est tous humains.