Dire adieu, une histoire d’amour entre un humain et son animal

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par Heïdie Pomerleau, médecin vétérinaire, photo de Busque

 

Mémé était un vieux chat, mais pas aussi âgé que sa propriétaire, Mme Rousseau. Elle et lui vivaient ensemble dans une très petite maison figée dans le temps, avec ses comptoirs bas, son linoléum à fleurs, son crucifix au-dessus de la porte. Tous les matins, ils vaquaient ensemble à leur petite routine : thé et gruau pour elle, croquettes pour lui, chacun avec sa petite dosette pour les médicaments.

 

 

En matinée, quand il faisait beau, Mémé accompagnait Mme Rousseau dans son minuscule jardin et pendant qu’elle arrachait lentement les mauvaises herbes de ses vieilles mains fatiguées, il humait l’air et lui frôlait les chevilles. Les jours de pluie, il restait souvent sur ses genoux pendant qu’elle tricotait. Chaque mois, Mme Rousseau appelait un taxi sur son téléphone à roulette pour aller chercher des croquettes et des conserves pour Mémé. Pas de la nourriture d’épicerie, mais ce qu’il y a de mieux pour Mémé et son diabète : une diète vétérinaire. Tous les trois mois, Mémé accompagnait Mme Rousseau dans le périple : avec sa maladie, il avait besoin de suivis réguliers. Ces soins coutaient cher, les trajets en taxi aussi, mais ils rompaient l’isolement et, là-bas, à la clinique, on tentait de lui garder son Mémé en forme le plus longtemps possible. Mme Rousseau était seule, sans famille proche. Mémé, c’était son ami, son confident, la petite, mais ô combien importante présence dans sa vie de solitaire.

 

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L’état de Mémé s’est mis à se dégrader tout doucement. Ses vieilles pattes faiblissaient, son diabète s’aggravait et, un jour, il a fallu annoncer à Mme Rousseau que c’était la fin. Lui dire que son ami souffrait beaucoup, que sa vie s’en allait. Cette dame avait plus de 80 ans, mais au moment de faire ses adieux, elle pleurait à gros sanglots : « Que vais-je faire sans lui ? Je vais être toute seule! » J ’avais les jambes en coton, le coeur en morceaux et le gout de pleurer avec elle… Mme Rousseau n’est qu’une personne parmi tant d’autres pour qui Molly, Pablo, Ulysse sont plus que des animaux. Ils sont des amis, des confidents, des membres de la famille. Comme médecin vétérinaire, je suis confrontée tous les jours à ces deuils déchirants, à ces adieux émouvants, et je tente, comme mes collègues, d’accompagner les gens dans cette difficile étape. Et c’est pourquoi aujourd’hui je voulais m’exprimer sur un aspect sombre du deuil et de l’euthanasie : le sentiment de culpabilité. On entend souvent parler d’abandons, d’euthanasies non justifiées, non médicales ou « de confort » (confort humain, s’entend) et on s’insurge, moi la première. Ce dont on parle moins, c’est de tous ces gens qui croient que leurs décisions et leurs sentiments sont anormaux, voire illégitimes. La culpabilité la plus évidente, c’est celle qui vient quand est prise LA décision finale. Par manque de ressources, par manque de sous, par manque de temps, parce que nos capacités de gérer la situation sont dépassées, pour mille autres raisons encore, on fait parfois le choix de dire adieu. Combien de personnes se sentent alors devenir de réels bourreaux, d’insensibles traitres, même. Beaucoup craignent notre jugement, nous, les amis des animaux.

 

« Oui, aimer, c’est parfois savoir dire adieu. Par respect pour l’animal et aussi par respect pour soi. Et jamais on ne devrait vous juger pour ça. »

 

À TOUS CEUX QUI SE SONT TROUVÉS DANS CETTE SITUATION, JE VEUX ADRESSER CES MOTS :
Parfois, dire adieu, c’est un geste d’amour. C’est l’ultime geste qui libère un vieil ami de ses souffrances et notre coeur d’une tempête d’inquiétudes. Oui, aimer, c’est parfois savoir dire adieu. Par respect pour l’animal et aussi par respect pour soi. Et jamais on ne devrait vous juger pour ça. Un autre visage de la culpabilité m’est aussi familier. Celui-ci est plus sournois, plus retors. C’est un mal souvent silencieux. C’est ce sentiment trouble qui nous fait sentir coupable d’avoir de la peine, coupable de sentir que le monde s’écroule autour de nous. Cette impression que notre tristesse n’est pas justifiée. Un jour, dans ma salle, une femme en larmes s’est excusée de son désarroi : « Mon Dieu, je m’excuse, docteur, c’est juste un chat pourtant ! Je suis trop sensible. » Une femme m’a aussi déjà avoué qu’elle avait choisi un moment en particulier pour l’euthanasie, pour ne pas « déranger la fin de semaine d’activité de sa famille et gâcher le plaisir avec sa peine ». Dans son cercle de relations proches, on ne comprenait pas « comment on pouvait avoir de la peine pour un simple chat ». J’ai également des clients qui hésitent à faire soigner leur animal, même s’ils le désirent et en ont les moyens, par peur du jugement de leur entourage sur cet investissement « déraisonnable ». Comme vétérinaire et humain, voir ces gens quitter la clinique, leur chagrin au creux du coeur, les épaules lourdes d’un fardeau qu’ils ravaleront pour faire bonne figure, ça me rend malade.

 

À TOUTES LES PERSONNES QUI ONT EU HONTE DE LEUR PEINE, JE VEUX DIRE :
L’amour n’a pas d’étiquette. Celui que vous porte votre animal est inconditionnel et vous avez le droit d’apprécier cet amour et tout ce qu’il apporte à votre quotidien. Vous ne devriez pas vous sentir mal d’aimer votre animal ni vous sentir jugé dans vos décisions de le soigner. Vous avez le droit de pleurer sa perte et de vivre votre deuil. Le rôle des équipes vétérinaires est de veiller à la santé et au bien-être des animaux, mais cela passe par la santé et le bienêtre de leur propriétaire. Nous sommes là pour vous conseiller dans ces difficiles décisions et pour vous donner des outils, adresses et références afin de traverser cette période douloureuse. Nous sommes là pour eux, nous sommes là pour vous, et nous comprenons votre peine. En mémoire de Juliette, ma petite fille poilue, de ma belle Abby, qui s’en va doucement, et de tous mes petits patients trop vite partis…

 

À propos de Marie-Amélie Dubé

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