Texte | Éric Dubois, syndicaliste, citoyen des Trois-Pistoles
Illustration | CDA
Récemment, Le Devoir a publié dans ses pages un texte signé par le professeur Majella Simard sur le développement dans la MRC des Basques. L’auteur y déplorait un certain optimisme aveugle de la part des décideurs locaux quant aux enjeux qui touchent le développement de leur territoire, et qui les empêchaient d’exiger de l’État le soutien nécessaire pour relever les nombreux défis qui les attendent. Or, on peut pousser un peu plus loin cette réflexion en portant un regard sur l’actualité récente.
En novembre dernier, le gouvernement de François Legault a remis en question l’octroi d’un montant de 5 millions de dollars pour des réparations sur l’Héritage 1, le bateau qui offre la desserte de traverse entre Trois-Pistoles et Les Escoumins. Ces réparations aux plaques d’acier du navire sont nécessaires en raison de l’usure normale du bateau. La Compagnie de Navigation des Basques (CNB), l’opérateur de la traverse, qui est la propriété des municipalités riveraines et de la communauté innue d’Essipit, et qui ne reçoit aucune subvention gouvernementale pour ses opérations courantes, croyait pourtant que l’appui du gouvernement était dans la poche. Le député caquiste du coin, Denis Tardif, aussi.
Pourtant, le 14 novembre 2019, le ministre François Bonnardel a annoncé le refus du financement demandé, déclarant que le bateau était en fin de vie et que le montant de 5 millions pourrait ne pas suffire pour couvrir des travaux qui pourraient être nécessaires une fois la coque ouverte. Le député Tardif s’est alors fait l’écho de son gouvernement, déclarant qu’il en avait assez fait dans le dossier, mais que la Société des traversiers du Québec (STQ) avait rendu sa décision à la lumière de son évaluation de l’état du traversier. La suite nous prouve que le député a menti, pour tenter de couler notre traversier.
La population, devant le refus du gouvernement, s’est rapidement mobilisée ; un comité citoyen a été créé à la suite d’une assemblée publique qui a rassemblé plus de 300 personnes le 20 novembre. Une pétition a été mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale et distribuée dans les commerces locaux. La mobilisation de l’ensemble des intervenant·e·s des deux rives aura mené les trois partis d’opposition à s’unir pour exiger que le gouvernement revienne sur sa décision.

La CNB a commandé une contre-expertise sur l’état du navire. Le rapport, publié en décembre dernier, contredit l’évaluation du gouvernement ; l’Héritage 1 pourra naviguer encore pour au moins deux décennies s’il est bien entretenu. Cette étude a été déposée au ministère du Transport. On apprendra plus tard, de la bouche du PDG de la STQ, que ce n’était pas son organisation qui avait émis l’opinion sur l’état du navire, mais bien le ministère de Bonnardel.
Mais à l’insulte des mensonges invoqués par Denis Tardif et son gouvernement pour tenter de justifier la décision de ne pas financer les travaux de l’Héritage 1 s’ajoute maintenant l’injure d’un refus de revoir cette décision dans des délais raisonnables. La CAQ tergiverse, via son ministre Bonnardel qui refuse de se prononcer. Pourtant, l’ultimatum est clair : passé le 1er février 2020, c’est toute la saison d’opération de la traverse qui est mise en péril, faute de pouvoir effectuer les travaux dans un délai rapide. Une injure qui pourrait bien empêcher près de 40 000 personnes de visiter notre communauté cet été, nous privant d’un apport économique vital qui ne saurait trouver de remplacement. Une insulte qui nous privera de 30 emplois ; autant de familles qui pourraient avoir à quitter notre communauté pour se trouver du travail.
Car au-delà de la décision sur l’avenir de notre traversier, c’est tout l’enjeu du développement régional qui est mis en lumière par cette triste situation. Il est presque absent des préoccupations du gouvernement Legault. Tous les programmes et tous les outils en développement régional et en occupation du territoire sont aujourd’hui disparus des pages internet gouvernementales. Le désengagement de l’État est désormais complet ; les communautés sont laissées seules face aux nombreux défis qui les attendent.
Même des territoires à haut potentiel de développement, comme Les Basques, peinent à entrevoir ce développement. C’est sur ce point que je rejoins le professeur Simard, qui a poussé plus loin sa réflexion lors d’une entrevue à Radio-Canada Rimouski. Ce n’est pas l’optimisme de la communauté basque qui est problématique, mais bien le manque de soutien de l’État au développement et à l’occupation du territoire.
François Legault qui promettait en campagne électorale « un gouvernement des régions » n’aura assurément pas livré la marchandise. Une ministre délayée au développement économique régional ne peut pas assurer seule que les régions périphériques aient droit au chapitre et aux outils pour assurer leur vitalité. Et Marie-Eve Proulx, la ministre en question, ne peut affirmer, comme elle l’a fait dernièrement, que son gouvernement en fait assez pour la population de Trois-Pistoles et des Escoumins. Elle n’est jamais venue rencontrer les intervenant·e·s des Basques et de la Côte-Nord pour offrir son aide. Cela aurait été un minimum, pour nous laisser croire que ce gouvernement ne nous méprise pas.
