par Busque, photo par Jonathan Gaudreau, traduction par Maude Gamache-Bastille
Caribou Legs court 7500 km au travers du Canada. Il court pour lui, pour ne pas revenir en arrière. Pour aller de l’avant. Il court pour elles, pour que l’on ne les oublie pas.
Busque : Quel est votre nom, d’où venezvous et que faites-vous lorsque vous ne courez pas ?
Brad « Caribou Legs » Firth : Je m’appelle Brad Firth, je viens d’Inivik, aux Territoires du Nord-Ouest. En temps normal, j’habite à Vancouver. Lorsque je ne cours pas, je vais dans les écoles et les rassemblements afin de promouvoir la sobriété. J’encourage les actions contre la violence, je crois que la culture sauve des vies. Je raconte mon histoire, ma façon de surmonter mes dépendances et les défis de la vie. J’habitais dans la rue, j’étais sans-abri et drogué, je suis allé en prison, mais je m’en suis sorti. Je partage mon expérience avec les étudiants et avec d’autres personnes depuis ce temps. J’ai couru plus de 15 000 kilomètres en trois ans.
B. : Où avez-vous couru jusqu’à maintenant ?
B.F. : L’année dernière, j’ai couru de Vancouver à Ottawa (4800 km). L’été d’avant, j’ai couru de Vancouver à Whitehorse (3200 km). Auparavant, j’ai couru d’Inuvik à Whitehorse (500 km). Avant cela, j’ai couru de Fort Smith à Yellowknife (750 km). En ce moment, je fais ma plus longue route, 7500 kilomètres pour éveiller les consciences en ce qui concerne nos soeurs, les femmes autochtones portées disparues, et toutes les femmes qui ont pu être maltraitées par les hommes. Il y a beaucoup de violence dans notre monde et j’essaie de la mettre sous le projecteur. Avec un peu de chance, les hommes deviendront d’un plus grand soutien ; ils deviendront plus coopératifs, plus aimables et plus respectueux.
« “Ma soeur est portée disparue. Où est-elle ?” On se fait finalement répondre qu ’elle a dû s’enfuir. »
B. : J’ai vu que vous courriez et les raisons pour lesquelles vous le faisiez. Je me suis demandé ce que nous pouvons faire en tant que citoyens afin d’aider la relation entre les Premières Nations et les autres Canadiens. En tant que personne de race blanche, je veux aider, mais peut-être que je n’ai pas besoin d’aider. Je ne sais pas quoi faire ni comment le faire. Qu’auriez-vous à me répondre ?
B.F. : C’est une question de compassion pour autrui. Je connais plusieurs personnes qui vont dans des pays du tiers monde, qui vont aider les gens d’Afrique, les gens d’Asie, les gens d’Amérique du Sud. Pourquoi ? Nous avons le tiers monde juste ici ! Dans chaque réserve, on retrouve un noyau de personnes autochtones non éduquées, blessées et fâchées. Pourquoi irions-nous là-bas les aider dans d’autres parties du monde alors qu’on peut le faire ici ? Je crois qu’il y a plusieurs raisons à cela. Peut-être à cause de l’embarras. Plusieurs personnes se sentent embarrassées devant les Premières Nations. Elles ne veulent pas avoir affaire à elles ; elles ne veulent pas s’en approcher. Pour aider, je crois que les gens doivent arrêter de faire ce qu’ils sont en train de faire et se rendre dans les réserves pour vrai. Faites-le. Faites-le de la bonne façon par contre parce qu’il y a plusieurs personnes en colère. Offrez du tabac ! Expliquez pourquoi vous êtes là. « Je veux aider, je veux apprendre, je veux voir. Je veux savoir comment ça se passe ici et comment vous vivez. » Si vous voulez vraiment vous intéresser aux Premières Nations, cela doit venir de cette partie en vous qui se soucie des autres personnes. Voilà 500 ans que les Premières Nations du Canada sont opprimées.
B. : Si je ne me trompe pas, il s’agit de la plus longue histoire d’oppression sur la planète et on n’en parle pas vraiment.
B.F. : Exactement, personne n’en parle ! Tout le monde se dit : « Ces sales Indiens ! Des drogués ! » Ce n’est pas correct. Tout le monde mérite la dignité et le respect. Après 500 ans d’oppression, comment peut-on restaurer la paix et la confiance ? Il faut du temps ! Mais tout le monde le peut. Dans mon cas, j’ai commencé à courir et j’ai réparé ma matière grise. Je vois maintenant à quel point je suis fier et confiant. Je suis conscient et je vois clair. Et je t’aime quand même ! J’essaie tout de même de voir le bon dans tout le monde, même dans les trous du cul qui disent du mal de moi. Je vois où ils se trouvent, je vois qu’ils sont évidemment blessés ou amers, mais je sais qu’il y a encore du bon en dedans d’eux. Dans les Prairies, les gens n’aimaient pas trop me voir courir. Ils n’aimaient pas me voir bouger et transmettre mon message. Je les comprends, c’est là où ils se trouvent dans leur cheminement ou dans leur état d’esprit. Évidemment, on sent chez eux beaucoup de haine et beaucoup de manque de respect. Je leur souhaite du bien et je leur souhaite plus de guérison, mais je ne peux pas la leur donner. Je pourrais être gentil avec eux jusqu’à ce qu’ils en meurent, mais je ne peux pas les changer, le changement doit venir d’eux-mêmes. Je peux toujours essayer de les éduquer. Je peux essayer de faire la paix. La paix vient de l’intérieur. En latin, on dit « ordo ab chao », ce qui signifie « l’ordre nait du chaos ». Donc, si on est fâché, on peut devenir joyeux, n’est-ce pas ? Alors, nous devons changer notre façon de penser. Le bonheur est là, au fond de notre esprit, et il peut avancer jusqu’au-devant de celui-ci. Tout le monde est fait de cette façon et tout le monde peut y arriver. En ce qui concerne les femmes autochtones portées disparues, le phénomène est apparu dans les années 1970, lorsque les gens ont commencé à se rendre compte que des femmes disparaissaient. Mais où sont-elles ? La violence faite aux femmes est souvent liée à l’alcool et à la violence conjugale. Dans les années 1980, de plus en plus de femmes ont été portées disparues et de plus en plus de femmes ont été victimes de viol, d’agressions et de manque de respect. Plusieurs déclarations ont été transmises à la GRC, mais on ne lançait jamais d’enquête. Qu’est-ce que c’est que ça ? Pourquoi n’y aurait-il pas d’enquête ? « Ma soeur est portée disparue. Où est-elle ? » On se fait finalement répondre qu’elle a dû s’enfuir. La GRC n’essayait pas vraiment de trouver la réponse. Ces évènements se sont répandus de plus en plus à travers le pays. Parce que ce sont ces « sales » Indiens, personne ne s’en occupe.
B. : S’il est question d’une femme blanche, on fera des recherches, mais si c’est d’une femme autochtone, on n’en fera pas.
B.F. : Exactement ! C’est de la pure haine. C’est très décevant de la part du Canada que de traiter ses propres femmes de cette façon. Elles donnent la vie. Respectons-les. Renseignezvous. Portez-y intérêt. Je souhaite utiliser la course pour éveiller la conscience des gens, pour les secouer. Pour ce faire, je peux courir terriblement loin !