par Busque
Quand nous parlions, Marie-Amélie et moi, des sujets pour une édition sur le deuil, l’idée nous est venue d’entendre ce qu’avait à en dire une personne qui côtoie la mort quotidiennement de façon détachée (si c’est possible). La Coopérative funéraire des Eaux Vives de Rivière-du-Loup nous a ouvert la porte pour rencontrer Nathalie Forest, thanatopractrice, pour nous parler d’un sujet tabou : la mort.
Busque : Bonjour ! Premièrement, pourrais-tu te présenter, nous dire quel est ton métier et où tu travailles ?
Nathalie Forest : Je m’appelle Nathalie Forest, je suis thanatopractrice pour la Coopérative funéraire des Eaux Vives depuis 21 ans. La coopérative est en fonction depuis 1998, mais je « fais partie des meubles » ; j’étais ici avant, quand c’était la Maison Gilles Bernier avec monsieur Gilbert Houde et madame Solange.
B. : Pourquoi est-ce une coop ?
N.F. : C’est devenu une coop, car c’était difficile comme entreprise privée. C’est monsieur Gaston Pelletier qui en est le pionnier. Il travaillait à l’hôpital de Rivière-du-Loup et il voulait avoir une maison funéraire qui appartenait à tous les gens et qui était plus accessible. Il voulait qu’il y ait le mouvement coopératif dans la région de Rivière-du-Loup.
B. : Est-ce qu’il y en a ailleurs ?
N.F. : Il y en a une vingtaine au Québec, dont une à Rimouski. Notre secteur est Rivière-du-Loup — Témiscouata.
B. : En résumé, à quoi ressemble une journée typique dans votre métier ?
N.F. : C’est complètement différent d’une journée à l’autre. Présentement, je suis « à l’acte », c’est-à-dire que, quand il y a un embaumement à faire, une thanatopraxie, on m’appelle et je viens. Pour un embaumeur qui travaille dans une maison funéraire, pendant une journée typique, il peut rencontrer une famille, s’occuper du transport pour aller chercher le défunt à l’hôpital ou à la place où le décès est survenu, effectuer la thanatopraxie. On peut aller porter un défunt au four crématoire aussi. Quand on travaille dans une maison funéraire, il faut faire de tout. On n’est pas attitré qu’à une seule place, sauf dans les grandes coopératives comme à Québec. Dans ce cas, on peut faire de la thanatopraxie toute la journée. Ici, on peut effectuer une, deux ou trois thanatopraxies selon la journée. C’est complètement différent.
B. : En quoi consiste une thanatopraxie ?
N.F. : C’est d’enlever toutes les bactéries qui peuvent se trouver sur le sujet pour amener à une éventuelle exposition et protéger la santé publique. On commence par laver le défunt. On s’assure de fermer tous les orifices comme les yeux et la bouche. Nous avons des techniques pour le faire. Ensuite, on procède à une injection. On prélève les artères dont on a besoin. Habituellement, ce sont la carotide et la veine jugulaire, au niveau du cou. On injecte un liquide à l’aide d’une pompe dans tout le système circulatoire. Par la suite, on fait un traitement pour les organes. On essaie de prélever le plus de liquide possible. On injecte par gravité du fluide pour embaumer, préserver les organes.
B. : Le but de toutes ces étapes est-il de conserver le corps du défunt le plus longtemps possible ?
N.F. : Oui, c’est de conserver toutes les parties du corps le plus longtemps possible. Maintenant, les choses ont beaucoup changé, ce n’est plus comme c’était avant. Autrefois, une personne décédait et l’exposition était faite rapidement. Aujourd’hui, l’exposition est retardée. Les gens sont plus portés à s’adapter selon leur horaire plutôt que de tout arrêter, car ils se trouvent un peu perdus devant la mort.
B. : Je sens que le processus va plus vite maintenant et que les gens ont moins le temps de faire leur deuil, avec le travail. Qu’en pensez-vous ?
N.F. : Ce n’est pas qu’ils ont moins de temps, c’est qu’ils ne prennent pas le temps. Aujourd’hui, les gens pensent qu’un deuil, on le contourne, on ne le traverse pas. Avant, il y avait beaucoup de respect pour la présentation du corps. Les gens comprenaient que ce n’était pas que d’acheter un cercueil, c’était vraiment pour faire le deuil de la personne, car on la voyait. Les gens ne veulent pas prendre le temps de pleurer. C’est ce qui fait la différence. Plus tard, le deuil revient. Un parent décède et on le met dans une petite urne, mais sans le voir, car on ne voulait pas le voir. Si on le fait incinérer, car on croit que c’est mieux ainsi, on va trainer son chagrin plus longtemps. C’est prouvé que quelqu’un qui fait des funérailles avec une urne sans avoir vu la personne décédée prend plus de temps à passer à travers son deuil que celui qui a vu la personne exposée. Aujourd’hui, on commence un autre genre de processus d’adaptation. Il y a eu la baisse des expositions avec le corps, il y a eu la mode des incinérations. Maintenant, les choses changent. On a compris que c’était plus difficile. On se trouve dans un entredeux : on veut voir la personne une dernière fois et, après, on va la faire incinérer. C’est l’identification ; on offre l’occasion à la famille de voir le défunt dans un certain délai à respecter par la loi. Sinon, on fait des funérailles mixtes : il y a une exposition avec le cercueil et, après, l’incinération. C’est nouveau et les gens se sont rendu compte qu’ils avaient besoin de voir leur défunt pour passer à travers le deuil. L’incinération est un mode de disposition seulement. Ici, on est rendu à environ 40 % de méthode conventionnelle et 60 % d’incinération. Par contre, il y a des places au Québec comme Sept-Îles où le taux d’incinération est de 80 %. La personne n’est pas exposée dans un cercueil et on n’a pas le temps de lui dire adieu. En tant que thanatopracteurs, notre but est de rendre la personne belle, présentable une dernière fois pour qu’on en garde un bon souvenir.
« Pour ce qui est des enfants, je n’avais pas de problème jusqu’au moment où j’ai moi-même eu des enfants. Maintenant, je dirais que j’ai plus de difficulté. »
B. : Quelles sont les enveloppes corporelles les plus difficiles à préparer ? Les enfants ? Les accidentés ?
N.F. : C’est certain que les accidentés, c’est très difficile. Il y a des fractures, il y a de l’enflure, et il faut essayer de rendre la dépouille la plus représentative qui soit. Pour ce qui est des enfants, je n’avais pas de problème jusqu’au moment où j’ai moi-même eu des enfants. Maintenant, je dirais que j’ai plus de difficulté. Pour les enfants, on peut voir les choses de différentes façons. Souvent, les gens sont enragés, car ils se disent que cet enfant-là n’a rien fait de mal. Dans le fond, peut-être que son cheminement était fait et qu’il nous a amenés à comprendre bien des choses. Il y a les cas de cancer aussi qui sont difficiles. À un moment donné, le corps ne suit plus avec tous les médicaments qu’on lui donne pour le guérir. On veut que la personne ressemble à ce qu’elle était lorsqu’elle était en santé. Les cas de cancer et de longues maladies ne sont pas évidents du tout. Parfois, des défunts nous touchent plus que d’autres aussi. Je pense à une famille de cinq enfants. C’étaient de jeunes enfants et on les a accompagnés dans le processus. L’identification a été très importante dans ce cas-là. C’est difficile de voir la personne qu’on aime allongée, qui ne bouge pas, qui est froide. Par contre, notre cerveau fait un bout de cheminement ; il comprend que la personne est froide, qu’elle est morte, qu’elle ne reviendra plus. C’est parfois impressionnant avant et après la thanatopraxie. Ce n’est pas toujours évident pour les familles, mais c’est notre rôle de les préparer. C’est mieux de cette façon que de passer à l’incinération directement sans exposition.
« J’ai trouvé que c’était ce qui était le plus représentatif pour moi, de prendre soin des gens comme la maison funéraire avait pris soin de mes parents. »
B. : Pourquoi avoir choisi de faire ce métier qui est assez peu commun ?
N.F. : Parce que j’ai perdu mes parents quand j’étais jeune et que je me cherchais. J’ai trouvé que c’était ce qui était le plus représentatif pour moi, de prendre soin des gens comme la maison funéraire avait pris soin de mes parents. Au secondaire, j’avais fait un test de profession et le résultat disait « directeur de funérailles ». Je m’étais mise à rire et je m’étais dit que je ne ferais jamais ce métier. Mon père est mort d’une crise de coeur quand j’avais 16 ans. Ma mère était malade, elle est morte quand j’avais 20 ans. Je suis allée au cégep comme tout le monde, je me suis cherchée comme tout le monde et je voulais faire une profession pour aider les gens. Je me suis rendu compte que, dans le fond, ce métier allait avec tout ce que je pensais. Moi aussi je voulais prendre soin des gens, moi aussi je voulais les aider. C’est évidemment beaucoup de pression, parce qu’on ne peut pas recommencer deux fois. Si la famille dit que la personne ne se ressemble pas du tout, on ne peut plus rien faire.
B. : Est-ce qu’il y a des options écologiques pour les arrangements funéraires ?
N.F. : Oui, il y a des urnes et des cercueils biologiques qui se décomposent très bien, sans aucun métal. Aussi, ce qui est de plus en plus à la mode, c’est de planter un arbre. On mélange de l’engrais avec les cendres et on dépose le tout à l’endroit désiré et il y poussera un arbre. Ce sont aussi des urnes écologiques. Sauf qu’avec cette option, on ne peut pas exposer. J’ai déjà assisté à une conférence et on disait que le plus écologique était l’ancienne méthode d’il y a des décennies : dans un linceul, directement à la terre, sans rien. Même l’incinération, comparée à un cercueil, n’est pas nécessairement moins polluante.
B. : Qu’est-ce qu’il y a après la mort selon vous ?
N.F. : Selon moi, c’est certain qu’il y a quelque chose après la mort. Les gens font une transition et ils reviennent sous une autre forme, selon leur croyance.
B. : Merci.