texte Frank Malenfant
« Seule une crise – réelle ou perçue – produit un réel changement. Quand cette crise survient, les mesures qui sont prises dépendent des idées qui circulent à ce moment. C’est, je le crois, notre fonction de base : de développer des alternatives aux politiques existantes, et de les garder vivantes et disponibles jusqu’à ce que ce qui est politiquement impossible devienne inévitable. » – Milton Friedman
Le 22 novembre dernier, la tournée CONSTITUONS !, initiative du metteur en scène Christian Lapointe et du théâtre Carte Blanche, en partenariat avec l’Institut du Nouveau Monde, passait par Le Bic pour un de ses 11 forums citoyens. Une assemblée de 42 citoyens avait été préalablement formée pour écrire cette constitution citoyenne qui sera ultimement présentée dans une oeuvre de théâtre documentaire au Festival Trans-Amérique. La tournée s’est mise en branle pour répondre aux questions posées par l’assemblée afin de l’inspirer dans sa réflexion. J’ai choisi de braver les forts vents et la poudrerie pour participer à cet exercice qui a rassemblé près d’une quarantaine de citoyens de tous âges qui se sont réunis au Théâtre du Bic, lieu qui servira aussi ultimement de lieu de diffusion pour la pièce en 2019. Sur place, des hommes et des femmes d’horizons différents : les passionnés du sujet comme Roméo Bouchard, Alain Bergeron et moi ; des travailleurs et élus du milieu politique ; mais aussi des citoyens curieux, intrigués par la démarche, qui venaient prendre part à la discussion.
Comme c’est la coutume dans ce genre d’assemblée démocratique, les participants ont été invités à se séparer en six commissions qui se penchaient chacune sur un des sujets suivants :
• Le préambule de la Constitution : les valeurs et les principes généraux ;
• Les droits et devoirs fondamentaux ;
• Les institutions et les pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ;
• L’organisation territoriale et l’attribution des compétences régionales et municipales ;
• Les partenariats autochtones, affaires canadiennes et relations internationales ;
• Les procédures de révision et les modes de participation citoyenne.
Ce genre d’exercice vous semblera peut-être trop technique, voire futile entre les mains de simples citoyens. Or, il n’en est rien. D’abord parce que, comme on peut le voir en France actuellement avec le mouvement des Gilets jaunes, tous ces sujets sont centraux pour assurer le bon fonctionnement d’une société et pour assurer sa transformation. Il ne faut aussi surtout pas sous-estimer la capacité d’un groupe de citoyens à répondre de manière intelligente et créative à ce type de question, et c’est d’ailleurs ce que ce genre d’exercice démontre systématiquement.
C’était un jeudi soir et nous n’avons eu que quelques heures pour arriver, se faire présenter les différentes commissions, délibérer et faire une plénière. Mais ont surgi des dizaines de bonnes idées ainsi que des discussions très enrichissantes et éclairantes. Par exemple :
• Un système de péréquation interrégional ;
• La décentralisation des pouvoirs et reddition de comptes des ministères ;
• La protection des instances comme le DGEQ et le Protecteur du citoyen en les inscrivant dans la Constitution ;
• Une révision de la Charte des droits et libertés en fonction des enjeux futurs reliés notamment à l’Intelligence Artificielle et au transhumanisme ;
• Remplacer les politiques mur-à-mur centralisées par une philosophie légale qui oblige des résultats, mais laisse une marge d’autonomie dans les moyens, par exemple dans le cas de municipalités qui sont forcés de faire circuler des camions au diésel pour recueillir des matières organiques dans des rangs où les gens pratiquent déjà le compostage ;
• Des seuils d’admissibilité à un Référendum d’initiative populaire ou à des mécanismes alternatifs d’amendements législatifs citoyens ;
• La convocation d’une nouvelle Assemblée constituante citoyenne à toutes les générations (20-25 ans).
Il a aussi beaucoup été discuté en plénière de sujets plus épineux des valeurs et principes qui définissent la société québécoise ainsi que de l’attitude à adopter face aux Nations autochtones présentes sur le même territoire que nous. Sur ce dernier point, il semble que tous ont pu se mettre d’accord que nous devrions reconnaître le droit de chaque nation à son autodétermination et traiter chaque nation d’égal à égal, de la même manière que nous souhaiterions que notre nation soit traitée par les autres nations canadiennes. À la suite de ces 11 assemblées, le temps de consultation n’est pas fini, et depuis le 7 décembre, il est possible de soumettre des mémoires et de participer virtuellement via un questionnaire à l’adresse inm.qc.ca/constituons/. Le tout mènera à une rencontre finale de l’assemblée de 42 citoyens en avril, des représentations de la pièce de théâtre documentaire dès la fin juin et un dépôt officiel du document constituant issu de cette démarche à l’Assemblée nationale en cours d’année.
Souhaitons que cette aventure, celles qui l’ont précédée et celles qui suivront donneront confiance aux citoyens en leur capacité à faire face intelligemment et dans le respect à des questions complexes, permettront de faire avancer la réflexion des Québécois sur ces importantes questions et inspireront les femmes et les hommes au pouvoir afin de faire évoluer notre société vers la bonne direction dans des décennies qui s’annoncent très tendues et instables sur les plans politique, national et international. Le citoyen est l’élément de base de toute démocratie. Ces débats-là non seulement nous appartiennent, mais sont de notre devoir pour l’avenir de nos institutions. Alors, allons-y, constituons !