texte Loïc Lafrance | photo Kim Létourneau
Dans le cadre de sa tournée, j’ai interviewé Philippe Brach avant son spectacle du 19 avril au Cabaret des mauvaises habitudes. Une belle occasion de discuter, au presbytère de Saint-Patrice, de questionnements d’ordre religieux, de sa conception du monde de la musique et de sa vision de l’avenir, et d’autres polémiques variées.
Loïc Lafrance : Sur ton premier album, il y avait la chanson « La race pape ». Dans celle-ci, tu dis que tu es croyant mais que tu as de la difficulté à croire les gens qui représentent l’institution. La foi occupe quelle place dans ta vie ?
Philippe Brach : Je ne me considère pas comme quelqu’un de religieux. En fait, je me considère plus comme quelqu’un de spirituel. J’ai jamais jugé la foi des gens, jamais, jamais. De toute façon, personne n’a la vérité, donc je suis qui pour dire aux gens ce qui est vrai et n’est pas vrai. Mais oui, il y a quelque chose dans le recueillement, dans ce genre de plus grand que soi, dans ce qu’on ne contrôle pas, qui me parle beaucoup. Après ça, il y en a qui appellent ça le catholicisme, le bouddhisme ou comme ils veulent par rapport à leur vie ou par rapport à eux, mais je juge que j’ai pas encore nécessairement trouvé quelque chose d’assez arrêté pour mettre un mot clair dessus. Donc, ça peut ressembler à de l’agnostisme un peu, c’est ce qui se rapprocherait le plus de ce que je pense.
L.L : Comment ça se fait passer d’une technique de production télévisuelle à produire des albums et être en tournée partout au Québec ? T’es quand même rendu à Rivière-du-Loup !
P.B : Tu sais, ça reste quand même dans le domaine culturel ! La transition s’est vraiment bien faite, et il y a des choses que j’ai été chercher au cégep en arts et technologies des médias, en télé, que je garde encore aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je m’investis autant dans mes vidéoclips, dans tout ce qui est visuel de ce que je fais parce que j’ai déjà étudié dans ça, j’ai déjà créé dans cette sphère-là, ce qui fait que c’est un plus aujourd’hui. J’arrive à dealer avec mon projet musical et là, dès qu’il y a une affaire de pochette ou de clip ou de whatever, j’ai l’impression d’être plus sensible à comment ça va looker, à ce qu’on fait concrètement. C’est une corde de plus à mon arc !

L.L : D’où provient ton univers si singulier ? De ton voyage au Pakistan, de tes inspirations musicales, de tes expériences de vie, de tes chats ?
P.B : À date, dans ton énumération, ça vient clairement de mes chats. Mais oui, un peu de tout ça ; je pense qu’on est la somme de tout ce qu’on vit et de tous les gens qu’on rencontre. J’aime beaucoup essayer de vivre des expériences que je n’ai jamais vécues, ou au moins d’avoir le sentiment que je les ai jamais vécues, en fait. Des fois, ça finit par donner la même toune dix fois de suite. Mais au moins le message passe et j’ai l’impression d’avoir touché à autre chose, d’où le voyage, cette espèce de quête de spiritualité, de plus grand que moi.
L.L : Est-ce que la musique est thérapeutique ? Que ce soit à l’écrire ou à l’écouter.
P.B : Totalement, moi je vois ça un peu comme un psychologue mais qui coûte rien. J’ai sauvé énormément d’argent avec la musique, beaucoup de psy aussi ! C’est de la thérapie, mais c’est aussi pour le trip de dire des niaiseries sans trop penser, c’est pas toujours la même raison, ça se promène.
L.L : Plusieurs artistes québécois abordent la confusion de la jeunesse québécoise face à leur avenir. Considères-tu l’aborder aussi ?
P.B : En fait, je pense que la confusion part de moi-même à la base, et je me rends compte que c’est connexe avec beaucoup d’artistes. Beaucoup d’entrevues m’accueillent comme étant la jeunesse, mais je ne sais pas à quel point je la représente pour vrai. J’ai l’impression qu’avec tout ce qu’on se fait pitcher, « la planète ça chie pis toute ça », à un moment donné, tu te dis : « c’est quoi mon avenir », « à quoi que je sers », « qu’est-ce que je m’en va faire pour ça », « ça vaux-tu la peine de faire de quoi ». Tout ce questionnement-là qui arrive, pis j’ai l’impression que toutes les générations en dessous de la mienne ont pas le choix de se poser ces questions-là à un moment ou à un autre, parce qu’on est à un point où dans les médias et dans la collectivité, on doit se remettre en question.

L.L : Penses-tu qu’une personne qui commence avec une marginalité extrême comme Hubert Lenoir va, dans quelques années, conserver son cachet unique ou va s’adapter à sa maison de production ? Et dans ton cas, est-ce que ta liberté est restreinte ?
P.B : Ça m’étonnerait ! (rires) Je pense qu’Hubert est un cas spécial. Il fournit tellement de choses qu’à un moment, c’est lui qui dicte à la maison de disque en arrière de lui. À quelque part, c’est ses projets, il prend le temps qu’il veut pour les faire, c’est quelqu’un de très libre en fait, et c’est quelque chose que j’admire beaucoup.
Et par rapport à ma liberté, j’ai toujours eu carte blanche, et je me suis toujours organisé pour l’avoir. Le premier album que j’ai sorti, je l’ai tout fait par moi-même, je l’ai printé, et quand je suis arrivé à ma maison de disque, j’ai dit : « C’est ça l’album, vous le sortez de même ou vous le sortez pas ». Donc, à partir de ce moment-là, j’ai toujours eu cet espèce de respect-là pis cette confiance-là d’eux autres. C’est pas toutes les maisons de disque qui font ça, mais en même temps, les temps changent et j’ai l’impression qu’avec Internet, Spotify, un moyen de consommation qui change, avec l’artiste qui est capable de ne pas avoir de maison de disque et qui peut vendre sur Internet quand même, j’ai l’impression que la maison de disque peut moins se permettre de faire comme si elle avait le gros bout du bâton et de faire comme si c’était elle qui allait prendre toutes les décisions. Peut-être qu’il y en a encore qui jouent cette game-là, mais ça toffera pas longtemps, honnêtement, parce que l’artiste est appelé à gérer plus ses affaires et se booker lui-même. Il y en a beaucoup qui réussissent à se payer le loyer avec ça, je pense que t’as plus besoin de passer par des gros major labels/médias traditionnels pour vivre de ça, ce qui change la game vraiment ; et aussi que tu peux faire un album avec 2 000 piasses et non plus 100 000 piasses, ça change la donne aussi. T’as plus besoin de l’argent de gros créanciers qui vont se permettre d’avoir tout le pouvoir sur ce que tu fais à cause de ça. Donc, il y en a qui ont juste besoin d’un minimum de talent pis après ça, sur Internet ; c’est pas les logiciels qui manquent pour faire ce que t’as en tête.

L.L : Existe-t-il vraiment un fossé entre le public en région et celui de la ville ?
P.B : Il y a peut-être 3 ou 4 ans, j’aurais été porté à te dire que oui, mais en ce moment, c’est tellement random. Honnêtement, il y a des enfants de, genre 6 ans, qui dansent dans mes shows et à côté, il y a des madames de 82 ans et à côté, t’as des kids de 16 ans sur la grosse brosse qui trippent pis qui font leur vie. Donc, je sais pas du tout comment sizer mon auditoire pour vrai, et je trouve ça l’fun ! Je te dis ça comme je te dis qu’avant, j’aurais aussi segmenté par personnes plus jeunes, personnes plus vieilles alors que maintenant, c’est tellement n’importe quoi. Des fois on arrive, je joue à 2 heures de Montréal et il y a 10 personnes de Montréal qui sont descendues voir le show parce qu’ils trouvaient qu’il y avait plus de vibe là. Donc, ça devient vraiment mélangé. La seule chose, c’est que certaines salles cultivent plus un certain style de public, un style d’écoute, une façon différente de vivre le show. Mais les trois-quarts du temps, je peux pas prédire 5 minutes avant le show comment le monde va être. Chaque place à son p’tit taste, son p’tit goût.
L.L : Dans ta chanson « Tu voulais des enfants », tu dis que les enfants sont une manière égoïste de se rappeler qu’on existe. Tu dis aussi que quand tu seras vieux, tu seras toujours un enfant. Qu’est-ce que t’aurais à dire aux parents « égoïstes » ?
P.B : (Rires) Rendu là, le prétexte de faire des enfants c’est une chose. Après ça, c’est la responsabilité qui vient avec, un coup que tu l’as mis au monde. Mais je parle vraiment à travers mon chapeau. J’ai pas d’enfants, mais j’ai beaucoup d’amis qui en ont et je check la passe aller et moi, en ce moment, j’ai pas le goût d’avoir des enfants même si je sens que j’ai une certaine fibre paternelle en dedans de moi. Je sais pas ce que je dirais aux parents égoïstes parce que moi je suis juste égoïste, je suis pas parent (rires). Alors, je suis vraiment mal placé pour parler ! Je pense que des deux côtés, on retrouve un certain égoïsme et que l’égoïsme peut devenir très rapidement malsain. Mais je pense qu’un minimum d’égoïsme, c’est pas si mauvais. Dans le monde dans lequel on vit, c’est important de prendre du temps pour nous. Rendu là, il faut pas non plus s’haïr pis trouver mauvaise sa propre personne. Avant d’aimer quelqu’un, faut que tu t’aimes toimême, à quelque part ! Donc ça, ça prend une certaine notion d’égo.
La notion de devenir adulte me fait pas vraiment peur d’ailleurs. Je suis déjà à l’aube de mes 30 ans et techniquement, je suis censé être un adulte et je sens fuckall ça. Je pense que si j’avais eu à devenir un adulte, ce serait déjà fait ! Là, je vais être comme je suis là à 50 ans, c’est sûr.

L.L : Quels sont tes projets à venir ?
P.B : On finit la tournée en septembre prochain ! Après ça, je m’en vais 3 mois en Afrique juste pour décompresser et vivre autre chose. Après ça, j’ai un projet de livre et d’émission de télé pour enfants, donc je suis vraiment pas pressé. Je ne me mets pas de limites, autant au niveau de la censure que du médium que je vais utiliser pour créer. Sinon, c’est pas mal aussi le fait que je viens de corder 3 albums sur 4 ans, donc j’avais quand même le goût de prendre une vraie pause et de ne pas trop forcer la patente. Sincèrement, ça ne m’étonnerais pas que le prochain album sorte pas avant 3 ou 4 ans. J’ai beaucoup de choses à faire avant ça ; ça fait déjà 3 ans que je brag ça dans les médias et qu’au final, il y a rien qui se passe. Donc, l’album va sortir quand il va être prêt. Mais j’ai le goût de faire un album vraiment épais, avec vraiment beaucoup de tounes. Ici et là, niveau enjeux, il y a des choses qui me drive, mais pour l’instant, c’est beaucoup trop préliminaire pour que je m’avance sur quoi que ce soit, sinon je vais en parler pendant 4 ans et ça ne sortira jamais…
L.L : Un conseil que tu donnerais aux artistes émergents de ce monde ?
P.B : Le seul conseil que j’ai à donner, c’est qu’il y a pas de vérité dans cette affaire-là. La seule vérité que j’ai trouvée, c’est qu’il y en a pas. Des gens vont faire des choses et ça va super bien marcher, et ils vont te dire de faire ça et ça ne marchera pas pour toi et vice-versa. Tu peux faire la même chose que quelqu’un qui a échoué et ça va finir par marcher. Alors, je pense que le plus important c’est de te connaître toi-même le plus que tu peux et de te faire confiance en te posant la question : qu’est-ce que je pense réellement de ça, le tout en restant super ouvert, en acceptant les commentaires de tout le monde, mais en bout de ligne de se demander ce que toi tu veux porter comme bagage dans ce que le monde te donne. Dans mon cas, c’est la base !