texte Michel Lagacé
Dans le milieu culturel du Bas-Saint-Laurent, « presque tout le monde » connaît l’artiste bassiste compositeur rimouskois, Éric Normand. Davantage porté vers la musique contemporaine improvisée que le contraire, grand rassembleur de musiciens et l’initiateur, il y a plus de 15 ans, de l’ensemble rimouskois le GGRIL « qui défend une pratique des musiques orchestrales créatives. », Éric Normand est aussi l’un des organisateurs d’événements musicaux exceptionnels par leur singularité et par la qualité de leurs invité.e.s internationaux produits par TOUR DE BRAS : Les Rencontres de musiques spontanées (RMS) à Rimouski.
C’est d’ailleurs dans le cadre de la RMS 29 que TOUR DE BRAS cherche à rejoindre un plus large public en organisant des concerts dans différents endroits en région (Rimouski, L’Isle-Verte, Matane, Albertville, etc.), un festival à Québec, en plus de concerts à Montréal.
Depuis quelques années, Éric est invité avec plusieurs des musicien.ne.s du GGRIL à participer à des événements similaires ou à des tournées musicales en Europe et ailleurs (leurs productions ont tourné dans 19 pays). Il vient récemment de recevoir une bourse pour écrire une pièce pour un orchestre en Australie. Cette année, pour ceux qui ne le savent pas, lors de la dernière rencontre de Culture Bas-Saint-Laurent à Rivière-du-Loup, on lui a décerné le prix du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) 2019, pour l’artiste s’étant le plus démarqué pour son rayonnement et sa contribution artistique dans le Bas-Saint-Laurent.
Le portrait de cet artiste-musicien, « attachant et frondeur » … est, je pense, une bonne façon de vous introduire au prochain concert du 28 septembre à l’église de la Décollation de Saint-Jean-Baptiste de L’Isle-Verte qui fait partie de la programmation de TOUR DE BRAS dans le cadre des RMS 29. Comment dire… pour avoir assister à plusieurs de ces concerts des autres RMS, et sans être un initié de cette musique, j’espère juste vous convaincre de vous déplacer, car les concerts de ces grands ensembles sont souvent exceptionnels.
« Pour cette soirée hors du commun » du 28 septembre à l’église de L’Isle-Verte, seront réuni.e.s les musicien.ne.s du GGRIL et ceux.celles de l’ensemble EMIQ « pour une exploration sonique lors d’une expérience acoustique intense au coeur de l’église. L’EMIQ étant le petit frère du GGRIL dans la Vieille Capitale, fondé par Rémy Bélanger de Beauport, un des membres du GGRIL vivant aujourd’hui à Québec ».

« Loin de la cacophonie que certains voudraient imaginer, la trentaine de musicien.ne.s (de ces deux ensembles) vous proposeront des musiques méditatives et évolutives mettant en relief l’acoustique du lieu » comme le souligne le texte présentant l’événement. « Au menu, des compositions de Rémy Bélanger, de Gabriel Rochette-Bériau et Xavier Charles. »
Selon le programme de cette soirée « Nos corps, la nef » est une proposition sensible et monumentale de Rémy Bélanger de Beauport, pour grand ensemble de musiciennes improvisatrices et musiciens improvisateurs prenant place dans une église. Le compositeur et violoncelliste improvisateur y fait se rencontrer le paradoxe émerveillement-traumatisme vécu devant une catastrophe écologique et la question de la répartition des libertés et responsabilités individuelles et collectives, le tout enchâssé dans des principes mathématiques stricts : nombre d’or, suite de Fibonacci, sommation de fonctions affines. « L’évocation de « l’expérience fascinante, magnifique, séduisante […] mais aussi grotesque, effrayante d’une inondation ou d’un glissement de terrain » entre autres évocations.
« Dans un premier temps, une lente et imperceptible accumulation de durées est répartie entre solistes et duettistes occupant différentes positions dans l’église. Le matériau libre permet de jouer dans l’espace […] de construire une identité de groupe à la fois cohérente et fragile. Une deuxième partie plus performative signale la fissure, l’épanchement alors que les corps fondent et les voix se font entendre. Enfin le public est entouré par un déluge sonore. »
Vous ne pourrez pas être indifférent.e.s à l’ambiance sonore que génèrent ces ensembles de plusieurs instruments (violon, violoncelle, saxophone, guitare électrique, échantillonneur, percussion, accordéon, harpe, bruits d’objets, etc.) dans un tel lieu. Vos émotions seront bousculées plutôt que confortées, rien n’est convenu dans ces sonorités, tout est création inspirée, tout est dans l’expérience artistique et sonore de l’instant, dans le lieu où tout se passe pour vous comme pour ces musicien.ne.s expérimenté.e.s. »

Aborder cette musique par l’intuition, c’est la façon la plus adéquate de la vivre. Cela dit, l’évocation d’un tel univers musical décentré, rarement chaotique, mais dont le sens est justement une certaine dissolution du sens pose un défi artistique de taille pour les musicien.ne.s et les auditeur.rice.s qui vivent cette expérience sonore en même temps qu’eux.elles. Rien n’est vraiment arrêté, c’est plutôt une suite de mobilité et de possibilités sonores en train de se créer dans le cadre d’une structure globale, connue que des musicien.ne.s. Aucune certitude dans cette expérience singulière et atypique, sauf le vertige qu’offre la musique et le fait de voir son exécution par les musiciennes et musiciens.
C’est toujours une expérience artistique des plus passionnantes que je recommande. De la vivre dans ce lieu architectural (l’église de L’Isle-verte) est une façon encore plus exceptionnelle de se laisser porter par cette musique créative si je me fie à mes dernières expériences de ces événements organisés par Éric et ses complices dans ce lieu, et aussi à Rimouski.
Ce tissu sonore peut être entendu et compris comme une façon personnelle, inattendue et originale d’incarner, ou de montrer un monde en jouant, comme le fait l’art, sur le relâchement poétique des combinaisons, accumulations sonores, ce qui permet de créer ses propres règles lors de son exécution. Cette connaissance poétique et musicale est une connaissance par résonance dans la subjectivité de chacun des musiciens et musiciennes en synergie avec « la force de l’imaginaire » qui s’en dégage pour reprendre le titre (partiel) du dernier livre du sociologue français Michel Maffesoli.