par Ève Simard, photo d’Alice-Anne Simard
Des gens m’écrivent, ma soeur. M’arrêtent dans la rue, à l’épicerie, à la pharmacie. M’appellent au travail. Pour me remercier d’écrire l’ampleur du chagrin qui habite le deuil, qui l’habille de sombres pensées. Pour me témoigner leur reconnaissance de mettre des mots sur la lumière qui jaillit des fissures, quand les larmes ont coulé et que les yeux rougis portent un regard nouveau sur la vie. Surtout, pour te remercier, toi, de leur donner espoir en ce quelque chose de mystérieux qu’il y a assurément après la mort, puisque tu l’as écrit juste avant de t’y rendre. Pour te remercier, toi, de leur permettre de croire à ce quelque chose de grand qui attend l’être aimé qu’ils ont perdu. Qui les attend aussi, assurément. Qui nous attend tous, au fond.
Ma soeur, j’écris ces mots et mon coeur s’emballe. Le vois-tu, le bien que tu fais aux autres humains, même après ta mort ? Je n’ai été que la messagère, celle qui a transcrit et raconté les mots que tu avais rédigés. Ta foi et ton espoir gribouillés sur le papier. Ta foi, oui. Parce que tu y as cru, à cette prophétie, à ce quelque chose de grand qui s’en venait pour toi. Que juste ça, cette toute petite phrase dans la mer de mots lancés dans ton journal intime, ce « quelque chose de très grand s’en vient pour moi » à lui seul m’a redonné la foi. Non pas en un dieu quelconque, mais en la vie, tout simplement. Celle de maintenant et celle d’après la mort. Ma soeur, ce que je m’apprête à écrire m’est très pénible. Je m’en donne pourtant le devoir. L’écrire pour que tes souffrances n’aient pas été vaines, pour que la foi en ce quelque chose de grand qui nous attend continue de se perpétrer.Ta mort m’apparait comme un sacrifice. Même s’il s’agit d’un accident, même si tu as lutté avec désespoir pour survivre à tes blessures, même si tu t’es accrochée si fort à ma main pour ne pas partir. La révélation dans la forêt, ta mort ensuite, ma longue descente au fond de moi-même après ton départ, puis la lumière soudainement. Dans ma tête, dans mon coeur. Dans celui des autres aussi, ces autres qui restent et qui apprivoisent, comme moi, chaque nouveau jour sans toi. Mourir pour nous crier de vivre. D’aimer, aussi. C’était ça, ton sacrifice.
« Ma soeur, ce que je m’apprête à écrire m’est très pénible. Je m’en donne pourtant le devoir. »
Ta mort, ma soeur, a été ma renaissance. L’écrire me donne le vertige. Parce que l’écrire me semble te résumer à devenir mon ange gardien ou n’importe quel autre concept flou et prémâché de la vie après la mort. Alors que tu es bien plus que cela. Parce que l’idée que ma renaissance soit possible uniquement grâce à ta mort me donne la nausée, comme si je te réduisais à être essentielle une fois partie. Alors que tu étais bien plus que cela. Toi qui étais de ces êtres exceptionnels que l’on n’oublie jamais, qui marque d’un trait indélébile leur passage dans notre existence. C’est justement parce que je t’aimais tant, que je t’aime encore si fort que j’arrive à renaitre, à revivre. Non, revivre n’est pas le mot. Vivre mieux. C’est ça. Vivre plus. Aimer plus. Ta mort m’a fouetté le sang pour mieux le faire circuler dans mon corps. Pour désengourdir mon existence qui s’endormait parfois en tenant la vie pour acquise. Désengorger mon être de ce qui est superficiel. Filtrer mon quotidien pour n’en garder que le léger, le doux, le beau. Rire plus. Aimer plus. Vivre plus. En ton honneur. Pour ceux qui restent, aussi. Pour moi, surtout. Pour qu’à mon dernier souffle, ce jour où la vie aura décidé que c’en est fini, ce jour où j’irai te retrouver, ce jour où je saurai ce qu’est ce quelque chose de grand dont tu nous as livré des indices, pour qu’à ce moment précis, mes yeux se ferment satisfaits de tout ce qu’ils auront vu. Que le dernier battement de mon coeur essoufflé dessine un sourire sur mon visage. Un sourire d’avoir tant aimé, d’avoir tant vécu. Ma soeur, j’aimerais leur dire, aux lecteurs. Vous dire. Vous dire que dans sa dernière lutte, dans son combat contre son corps fracturé, ma soeur, petite fleur blessée, nous a livré un fabuleux message à ne jamais oublier : « La vie est précieuse. Dans l’adversité, combattez. Quand vous avez la vie, aimez. » Au printemps dernier, ma jeune soeur est décédée d’un tragique accident. Si la Terre me semble avoir cessé sa course depuis, je sais pourtant que la vie continue. Qu’elle doit continuer. Écrire le deuil, le mien comme celui des autres, m’aide à garder la tête hors de l’eau et éviter la noyade dans mon propre chagrin. Parce qu’écrire permet d’apaiser les hurlements intérieurs.
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