Texte : Laura-Lou Fortin
Quand je vois le monde de mon âge et même plus jeune qui est déjà accompli, je l’avoue, je suis jalouse.
Il.elle.s ont étudié dans le domaine qui les fait tripper, il.elle.s ont trouvé une job stimulante et payante. Il.elle.s partagent leur vie avec un amour, des ami.e.s de travail, il.elle.s ont acheté une maison. Il.elle.s ont un chien.
Il.elle.s pensent à avoir un enfant. Il.elle.s voyagent, il.elle.s ont un char, et surtout il.elle.s ont l’argent pour payer tout ça sans soucis.
Oui, des fois je les regarde pis je suis jalouse. Je me dis « voyons, j’ai-tu raté quelque chose ? J’ai-tu mal choisi en quelque part ? ». J’ai 28 ans, pas de blonde ou de chum, retournée vivre chez mes parents depuis 3 ans, un diplôme de cégep en arts visuels parce que je savais pas quoi faire d’autre, des cours d’informatique que j’ai jamais finis.
Mais après ça je me dis : Moi, ce qui me fait tripper, qui m’empêche de dormir le soir et qui donne une raison à ma vie, c’est l’art.
Oui, peut-être qu’à court terme, je serais heureuse avec un diplôme d’animation 3D ou d’informatique en poche, une job solide dans une compagnie pis un horaire fixe. Mais ça ne durerait pas plus que deux mois. Je me connais ! La seule chose qui réussit à occuper mon cerveau de TDA et éliminer l’ennui chronique, c’est l’art. N’importe quoi d’autre, je finis par m’ennuyer.
Mon cerveau s’ennuie si je ne me concentre pas sur mon art. Et il me le signifie à chaque fois que j’essaie de m’en sauver. À chaque fois que j’ai voulu étudier, que j’ai voulu trouver une job 9 à 5, même si le sujet était intéressant, mon cerveau a fini par me dire « heille, c’est plate. Je me fais chier. Change tout de suite ! » Je suis certaine de ne pas être la seule avec une bebitte de cerveau comme ça. Un organe hyperactif qui ne trouve son repos que dans l’art. Alors j’ai fini par l’accepter et j’ai changé. En fait, je suis encore dans le processus de changement.
Pour ceux et celles qui ne me connaissent pas, je suis youtubeuse sous le nom de Freyjinn depuis 3 ans. Je fais des animations 2D, des speedpaintings et vidéos de toute sorte. Mon grand rêve, toutefois, c’est d’être bédéiste.
J’ai trois grands univers dans ma tête et je veux en faire des séries de bandes dessinées. Faire les salons du livre, les festivals de BD, avoir des produits dérivés, des scénarios de film, avoir les poches bien remplies pour gâter ceux autour de moi pis ne plus jamais avoir à craindre la fin du mois… !
C’est bin beau rêver, mais faut commencer. Pis commencer, c’est une chose. S’y consacrer, c’en est une toute autre.

Je n’ai pas envie d’être une fille matérielle, mais j’ai un côté de moi (probablement le plus insécure) qui est excessivement matériel. J’ai une peur panique de manquer d’argent. Et j’en manque souvent. Mais vous allez me dire « voyons Loulou, tout le monde vit ça. Plein de gens en manquent ! » Oui, je sais. Et ça me fait badtripper. Choisir l’art comme profession principale n’est pas le meilleur choix quand on stresse avec l’argent. Toutefois, j’en reviens à mon cerveau qui s’ennuie dès qu’il ne fait pas d’art. C’est un genre de cercle vicieux avec moimême. Depuis mon adolescence, c’est comme ça : j’étudie, je finis par m’en désintéresser, je me trouve une job, je me tanne, je fonce dans l’art, je stresse car je manque d’argent ou de vie sociale, et on repart pour un tour ! Je cours après une nouvelle job, je cherche une blonde ou un chum, je m’accroche aux autres, je déprime parce que je ne travaille plus sur mon art, et un troisième tour ! Ouf ! Je suis étourdie juste à l’écrire. C’est dont bin intense dans ma tête ! Il y a ceux qui ont peur de l’engagement amoureux, moi je pense que j’ai peur de l’engagement professionnel. Ça se peut-tu, ça ?
Mais je suis en train de comprendre, ce mois-ci, aujourd’hui, que si je continue d’avoir peur de m’engager dans YouTube, dans ma bande dessinée, ça va plafonner et ne jamais devenir ce dont je rêve. Et je vais rester dans ce cercle vicieux de mon cerveau. Et pis je pense à tou.te.s ces magnifiques artistes de notre région, ces artistes-peintres, ces slammeur.se.s, ces musicien.ne.s. Tou.te.s ces artistes trippant.e.s et passionné.e.s. Ces autres youtubeur.se.s que je regarde, ceux et celles avec qui je parle. Ça me ramène à l’ordre.
Oui, à chaque mois, à chaque semaine, je me répète la même affaire : « Cette année, je travaille dur et je vis de mon art. » Faut que je me le répète toujours. Dès que mon cerveau hyperactif commence à se plaindre et à vouloir voir ailleurs, je le ramène. « Cette année, je travaille dur et je vis de mon art. » Ça n’a pas marché en 2017, ni en 2018, en 2019 on s’en approche. Pas grave, on continue pis on s’accroche. En 2020, let’s go ! Je me le répéterai cent cinquante fois s’il faut, mais à moment donné, on va l’avoir !