Chloé Giroux-Bertrand : Contempler l’immensité

Texte | Thiébault Rouyer

Au bord du fleuve, l’horizon s’étend au-delà de Charlevoix et ses montagnes, dernier obstacle avant l’infinité du monde. Une jeune femme sort de la forêt, Kodak en main, elle s’approche doucement du promontoire, guettant le meilleur angle pour attraper sa prise. Elle pose son appareil dans la ligne de mire. Son objectif : l’immensité qui s’érige devant elle. CLIC – l’image est dans la boîte. C’est le début du voyage pour Chloé : le parcours de la création.

Chloé Giroux-Bertrand est artiste. Elle photographie son territoire, puis peint, en surimpression, dérive au-delà du cliché, et s’étend sur des bâches usagées qui lui servent de toiles. Tout part d’une image, mais l’oeuvre se développe au fil des pinceaux, à la lisière de l’acrylique et du crayon. Le résultat : de larges peintures captant l’aura de sa région, le Bas-Saint-Laurent, et ses paysages infinis. Dans un impressionnisme bien à elle, chaque toile nous transporte d’un bout à l’autre du fleuve, nous laissant divaguer sur ses eaux.

Photo | Camille Paradis

À Rivière-du-Loup, on entre dans son atelier, petite cabane sobre, mais chaleureuse, en arrière de sa maison. Une grande table sert de support à une bâche jaunie par le temps et tachée par le monde. Une de ses oeuvres occupe la moitié du mur. Quelques arbres au premier plan, le fleuve, puis les montagnes à l’horizon, dans une ambiance éthérée. La photo prise précédemment est là, quelque part, perdue au milieu des coups de pinceaux et de crayons, comme point de départ initial. On pourrait presque s’y engouffrer, se fondre dans les pigments et rejoindre, en quelques pas, les rives du fleuve. « La nature, c’est vraiment mon moteur de création. Mon intention, c’est qu’on puisse plonger dans une forme d’immensité, de contemplation. Ce qui m’intéresse beaucoup là-dedans, ce sont les textures et les changements de couleur. Chaque jour, c’est différent » m’explique Chloé, blouse sur le dos, brosse en main.

Depuis son enfance, elle est marquée par l’étendue du Saint-Laurent. Cet espace qu’elle respire l’inspire. « Je travaille des paysages. Je ne pense pas que j’aurais pu le faire dans une autre région. Le fleuve et l’immensité du territoire me donnent juste le goût de créer. C’est un peu comme un mode de vie aussi. Ça fait partie de ma routine d’aller faire des randonnées dans la forêt, sur le bord de l’eau, de découvrir vraiment ma région, de découvrir toujours avec mon appareil photo des paysages qu’après je retravaille dans l’atelier. »

Chloé vit de son art depuis peu. En réalité, c’est son retour dans le Bas-du-Fleuve, il y a deux ans, qui l’a menée à faire de la création son quotidien. Originaire de Sainte-Louise-des-Aulnaies, près de La Pocatière, elle avait rejoint Montréal pour préparer un baccalauréat en arts visuels. Spécialisée dans les costumes et le théâtre, elle entame sa vie professionnelle dans la patine : le vieillissement et l’usure des vêtements pour le cinéma. Le but : rendre réalistes les habits portés par les personnages pour les intégrer plus ou moins subtilement dans l’univers fictionnel. « On ne veut juste pas que les vêtements aient l’air de sortir du magasin. » L’éventail des possibilités est large. Parfois, c’est donner l’impression d’une simple utilité quotidienne, mais pour de grosses productions hollywoodiennes, le métier peut amener à salir, abimer, déchirer des habits pour les incorporer dans une scène d’action, par exemple. De fait, Chloé a travaillé pour des films comme 300 et X-Men, mais aussi pour des productions québécoises comme Maria Chapdeleine et L’arracheuse de temps, pour ne citer que celles-ci.

« Quand j’ai découvert ce métier-là, ç’a été comme une révélation, parce qu’à ce moment-là, malgré les études en arts visuels, je ne me voyais pas être une artiste. Je me considérais plus comme une artisane. J’avais envie de travailler sur les projets des autres. La patine me permettait d’utiliser les techniques de couleur, de peinture, de teinture. Je passais mes journées avec des pinceaux. »

Pourtant, sa démarche artistique est présente depuis le départ, et ne l’a jamais vraiment quittée. « J’ai toujours continué à peindre. Déjà, à l’université, je faisais des transferts photo, puis je produisais quelques toiles pour des ami·e·s, de la famille, mais je ne pensais jamais en vivre. »

En 2020, Chloé décide de quitter Montréal pour retourner dans sa région natale. « J’ai eu envie de fleuve et de nature. » Après plus de 15 ans à travailler en patine, elle décide de prendre une année pour se trouver, explorer, expérimenter, tout en accordant plus de temps à sa création et à sa famille. En arrivant, elle n’avait aucune idée de la manière dont elle allait gagner sa vie. Elle crée, puis publie ses oeuvres sur les réseaux sociaux. Rapidement, elle est repérée par la galerie Champagne et Paradis à Kamouraska, qui la représente depuis un an maintenant. Elle y est exposée à l’année avec une quinzaine d’autres artistes contemporain·e·s. « Je n’aurais pas pu mieux imaginer lorsque j’ai choisi de déménager. »

Photo | Camille Paradis

Le 16 avril 2022, la galerie tiendra d’ailleurs l’exposition Rêver l’immensité pour fêter leur première année de collaboration. Une salle complète sera dédiée aux oeuvres de Chloé. Ce sera une belle occasion de découvrir ses peintures et de se laisser transporter dans les paysages et rivages bas-laurentiens.

Le passage du professionnel au créatif s’est déroulé en douceur. Il y a une forme de continuité dans les gestes performés par Chloé, une transition fluide, menée par un ballet de pinceaux qui ondulent en écho. « J’ai comme l’impression que sur mes peintures, j’utilise les mêmes techniques que la patine. J’ai toujours vu mes costumes comme mes toiles. C’est juste un support différent ; avant, c’était les vêtements, et maintenant, c’est les bâches. »

Chloé récupérait les bâches usagées de son arrière-grand-père, peintre en bâtiment, pour s’en servir comme toile. Encore aujourd’hui, c’est son support principal. « J’aime l’idée de donner une deuxième vie à un matériau considéré comme peu noble à la base. » L’atmosphère qui transpire de la bâche apporte à Chloé les fondations de sa création. « Il y a déjà une histoire, il y a déjà quelque chose qui se passe. Je ne fais que la continuer. Je m’inspire des taches qui sont déjà là. »

Lorsqu’on regarde ses oeuvres de près, les couches de peinture sont bien présentes. Pourtant, une teinte blanchâtre ressort de l’ensemble, envoûtante, et elle nous plonge dans l’ambiance unique du Bas-Saint-Laurent. En réalité, Chloé cherche, par transparence, à faire ressortir les taches et le côté jauni du matériau de base. « J’aime ça qu’on sente encore la bâche. »

Au milieu des traits de crayon et des traces d’acrylique, la photographie porte l’origine de l’oeuvre, mais s’efface au profit d’un tout. « J’aime opposer la précision d’une photo avec des parties qui deviennent plutôt abstraites, moins travaillées, qu’il y ait un contraste entre les deux univers. Finalement, je patine la photo. »

Photo | Thiébault Rouyer

Apporter la touche finale reste toujours délicat, mais Chloé me fait part d’une intuition profonde elle sait quand il est temps de s’arrêter, de laisser l’oeuvre vivre sa vie et le paysage respirer. Une fois son travail terminé, direction l’Atelier 27×27 pour la dernière étape encadrer sa peinture. Ensuite, la toile voyagera sur les réseaux sociaux, avant de se rendre à Champagne et Paradis pour y être exposée, puis contemplée par des promeneur·euse·s transporté·e·s aux quatre coins de la région.

Exposition Rêver l’immensité – Le 16 avril 2022
Galerie Champagne et Paradis
83, avenue Morel, Kamouraska, G0L 1M0


Instagram @chloegb_art
Facebook Chloe gb – Art

Photo | Camille Paradis

À propos de Marie-Amélie Dubé

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