Ceux Comme la Terre, entrevue avec Nicolas Paquet

Sans titre-35

Par Alexia St-Pierre

Nicolas Paquet nous explique la démarche de son nouveau film Ceux Comme la terre. Un des fondateurs des Projections Cinédit, il a aussi fait partie du comité qui a mis sur pied le festival « Vues dans la tête de… » en plus d’être un professeur pour le programme de Réalisation de films documentaires offert au Cégep de Rivière-du-Loup.

Alexia St-Pierre : Pourrais-tu nous expliquer le sujet de ton film?

Nicolas Paquet : Le film parle de l’histoire du peuple déné, de son mode de vie, de la façon dont, en ce début de 21e siècle, il se questionne et puis il agit pour retrouver une harmonie avec son territoire. Le film le montre par des rencontres. On est dans un petit village qui s’appelle Lutsel K’e, dans les Territoires du Nord-Ouest. C’est comme si on se baladait dans le village et qu’on rencontrait ses habitants. On est dans une communauté éloignée où on peut seulement se rendre par avion ou par bateau, il n’y a pas de route. C’est une autre façon de vivre, plus autonome, plus autarcique, ne pas être dépendant de ce qui arrive par avion ou de ce que le gouvernement envoie comme aide. Les habitants vivent dans des conditions difficiles, dans un milieu difficile. Pour moi, le film est politique. D’un côté, il y a cette façon de vivre qui est mise de l’avant. Il y a aussi la trame du film portée par un jeune Déné qui s’appelle Dëneze Nakehk’o, qui nous raconte l’histoire du colonialisme en Amérique du Nord. Il ne dénonce ni ne critique quoi que ce soit directement, mais, dans sa façon de raconter l’histoire, c’est un acte de décolonisation. On n’est plus juste dans l’interprétation du colonisateur, mais aussi dans la façon dont ils ont vécu la colonisation.

A. S-P. : Comment t’es venue l’idée de fairece film?

N. P. : Quand j’ai fini mon bac en communications publiques à l’Université Laval, j’ai fait un stage à Radio-Canada et j’y ai travaillé pendant trois ans comme recherchiste. Dans un de mes mandats, je devais faire de la recherche pour des francophones aux Territoires du Nord- Ouest et je suis tombé sur les écrits de René Fumoleau, le père oblat qui nous raconte quelques histoires dans le film, et ça m’a charmé. J’ai trouvé ça à la fois intelligent et ironique. J’avais déjà un intérêt, un questionnement et une grande ignorance en ce qui concerne les peuples autochtones, nos voisins proches et lointains, et j’ai décidé avec Karina, de faire un projet pour explorer cette question. On est partis des écrits de René et on a fait un film documentaire en rencontrant le peuple déné. On a essayé d’avoir du financement, mais, à l’époque, on ne l’a pas eu. On a mis le projet sur la glace et on l’a ressorti il y a cinq ans maintenant. On est allés faire de la recherche, du repérage, et, de fil en aiguille, après deux étés de tournage, le film a été terminé, il y a bientôt un an déjà.

A. S-P. : Vous êtes-vous basés sur l’histoire de René?

N. P. : Ce n’est pas un film sur René, mais, quand il raconte sa vie, il raconte l’histoire des Dénés. On a utilisé ses archives plutôt qu’une narration. Certaines de ses histoires ont un message à la fois sympathique et très vrai. Il préfère faire parler les Dénés plutôt que parler. Il est très timide. Il se met en scène parce que c’est une histoire qui lui est arrivée pour vrai, mais c’est toujours une façon de faire parler les Dénés avec qui il a vécu.

A. S-P. : Quelle est la relation qui existe en ce moment entre René Fumoleau et les Dénés?

N. P. : Il est très respecté encore aujourd’hui, mais il a décidé de se retirer complètement de la vie publique. Il n’accorde plus d’entrevues, il n’écrit plus, il n’a plus de caméra, il mène une vie très simple. Il n’est plus un militant comme il l’a été dans les années 1970.

A. S-P. : Comment le projet de film a-t-il été reçu par la communauté?

Sans titre-33

« Je voulais montrer un peu plus le côté positif qui existe, qui est présent, ces jeunes qui ont plein d’idées, qui sont éloquents. »

N. P. : Je suis allé le présenter en octobre. Il a bien été reçu, plusieurs sont venus me dire leur appréciation de la façon dont nous avions filmé le territoire, du rythme du film qui est aussi en harmonie avec leur mode de vie, de la trame sonore, qui a quelque chose d’un peu organique. Ce n’est pas une mélodie, ce n’est pas une musique comme telle. Nous avons travaillé à partir de sons et d’échantillons. Plusieurs nous ont dit qu’ils aimaient cette ambiance, que ça reflétait bien leur univers.

A. S-P. : D’où viennent ces sons?

N. P. : Il y en a une bonne partie qui vient de là-bas. Il y a d’autres sons que Brigitte a créés avec divers instruments, puis il y a des banques de sons aussi.

A. S-P. : Quel genre de film voulais-tu faire?

N. P. : C’est un film où je voulais qu’on observe. J’essaie de mettre moins de mots dans mes films puis d’aller plus vers de l’observation. Je trouve que l’image et la présence des gens à l’écran disent plus que bien des paroles. Mes films demeurent politiques et j’ai besoin que quelqu’un parle. C’est pour ça que Dëneze occupe une place bien centrale.

A. S-P. : Comment ce film s’inscrit-il dans ta démarche documentaire?

Sans titre-34

N. P. : La démarche se réfléchit un peu, mais se découvre parfois après que les films aient été terminés. Il y a toujours une histoire d’injustice qui est la motivation première, avec l’âme d’un lieu. Par exemple, dans L’âme d’un lieu jetrouvais que ce qui était arrivé à Marcel et qui a mené à la fermeture de la microboulangerie de la Seigneurie était injuste. Aussi, dans La Règle d’or, je trouvais totalement injuste que quelqu’un fasse des milliards de dollars sur le dos de pauvres citoyens qui n’ont rien fait de mal à part de vivre au-dessus d’un filon d’or. Ils ne pouvaient pas le savoir! Puis, avec Ceux comme la terre, au Canada, on voit que ce qu’on a fait subir aux autochtones est la plus grande injustice de notre histoire et ça perdure. On n’a pas encore de rapport égalitaire avec eux, ils sont encore victimes à la fois de racisme, d’oppression et de vol par les compagnies minières. Encore là, c’est une question d’injustice.

A. S-P. : Où es-tu rendu dans le processus de diffusion?

N. P. : Il va y avoir la sortie en salle avec Excentris le 30 janvier, puis Projections Cinédit à Rivière-du-Loup le 27 janvier et Rimouski le 10 février. Aussi, nous serons au Rendez-vous du cinéma québécois et francophone de Vancouver en février. Il reste encore quelques festivals où le film sera présenté, et on espère qu’il va circuler dans d’autres régions du Québec.

A. S-P. : Quels sont tes prochains projets?

N. P. : Il y en a un qui est confirmé, un court métrage que j’ai très hâte de faire, sur la disparition des cabanes à sucre familiales, donc les petites cabanes à sucre qui ne sont pas commerciales. C’est un mode de vie qui est difficile à faire perdurer, parce qu’on n’a plus les emplois qui nous permettent d’arrêter pendant trois à quatre semaines. Dans mes thèmes, la deuxième chose qui m’apparaît, c’est la perte. Dans L’âme d’un lieu, c’est la perte d’une boulangerie et d’un lieu de rencontre. Dans La Règle d’or, c’est la perte d’un quartier au complet et d’un mode de vie qui disparaissaient sous les pelles mécaniques. Puis, c’est sûr qu’il y a beaucoup de pertes en ce qui concerne l’histoire de la colonisation. Avec les cabanes à sucre, c’est un peu la perte aussi. L’injustice et la perte sont les deux thèmes qui me motivent beaucoup.

A. S-P. : Aurais-tu un mot de la fin à nous dire?

N. P. : On a vu beaucoup d’images des problèmes des autochtones, de la violence et des abus. Avec le film, je voulais aller ailleurs. Pas que ça n’existe pas aux Territoires du Nord-Ouest, mais pour essayer de comprendre pourquoi ces problèmes existent. Selon moi et selon ce que raconte Dëneze, quand on passe à travers autant d’atrocités, c’est possible de devenir accro à quelque chose ou d’avoir besoin de s’évader d’une autre façon et, psychologiquement, ça les affecte. Je voulais montrer un peu plus le côté positif qui existe, qui est présent, ces jeunes qui ont plein d’idées, qui sont éloquents. J’aime beaucoup aussi cette idée d’un retour à une autonomie, et ça ne s’applique pas juste aux communautés autochtones, mais à toutes les communautés qui sont moindrement éloignées des grands centres et, à la limite, aussi aux grands centres.

La Rumeur du Loup, édition 72 Janvier – février 2015

À propos de La Rumeur du Loup

Voir aussi

Mitis Lab : Espace collaboratif au Château Landry

Texte | Marie-Amélie Dubé Le Mitis Lab est un OBNL ayant démarré ses activités à …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Sahifa Theme License is not validated, Go to the theme options page to validate the license, You need a single license for each domain name.