Texte | Michel Lagacé
De la fenêtre de ma cuisine qui donne sur la rue, je n’arrête pas de voir par alternance et généralement à bonne distance des femmes et des hommes promenant leur chien. Durant cette période que l’on vit toutes et tous, s’il y avait pour moi une image qui se dégagerait, c’est bien celle-là. Ici dans mon village ou en ville, car c’est probablement la même chose partout, ces silhouettes avec leur animal de compagnie circulent dans le silence des rues vides de cette longue période de confinement qui nous permet, tout de même, de mettre le nez dehors près de chez soi, tant que ce n’est pas un rassemblement.
Cette image semble être celle d’un monde devenu docile, sans aspérité, sans contact physique, sans aucune singularité ; tout y semble convenu et silencieux. À bien y regarder, on décèle dans les yeux de ces protagonistes la tristesse ou la douleur du coureur ou de la coureuse d’un marathon – le reste de leurs visages, dans les lieux intérieurs publics, est recouvert d’un masque comme on le sait tous et toutes. Et si l’on a le malheur de croiser leur chemin, la peur ou la gêne transforme d’un coup leur regard, probablement le nôtre aussi, en fusil. Ce n’est pas ce que j’imagine être le bonheur, mais davantage ce côté embarrassé et trivial de la série télévisée québécoise appréciée et titrée C’est comme ça que je t’aime.
À la longue, cet entracte dangereux a fini par nous gruger, par nous avaler malgré l’apport positif, mais tout aussi négatif d’Internet, car cet accès virtuel aux autres, à des divertissements et à de la culture en ligne nous a fait passer par autant d’insignifiances, de temps perdu que par des occasions sublimes, surtout dans la lecture, l’écoute de musiques inspirantes et dans le visionnement de bonnes séries télévisées, dont celle à laquelle j’emprunte le titre de mon texte, et de quelques contacts réconfortants. Mais cela n’a rien à voir avec les vrais contacts, la tendresse des câlins, ni avec la dynamique de la culture en salle ni avec les rencontres d’ami·e·s dans des cafés, bars et restaurants. On ne sort presque plus de nos appartements ou maisons, toutes et tous chez soi, seul·e ou en couple ; ce confort, on semble l’avoir suffisamment vécu. De là ce sentiment de perte, de dépression, ce goût très fort de revoir des amis, de revivre l’énergie du printemps même si l’hiver ne fait que commencer et que la courbe est toujours aussi haute que la butte d’un centre de ski. On n’attend que le « go-vaccin » pour redescendre, et savourer de nouveau sur le versant opposé l’adrénaline de la vraie vie.

Comme plusieurs, on rêve maintenant d’un APRÈS bien plus calme que l’AVANT, plus humain, plus généreux, et pas seulement et nécessairement axé sur l’économie. Aurons-nous appris ? Aurat- on vécu plus d’empathie durant cette période avec plus de vérité et d’actions, autres que le slogan paresseux et cliché « Ça va bien aller » et le symbole de l’arc-en-ciel emprunté aux Italiens (Andral tutto bene) qui a déferlé dans le monde. On s’est vite rendu compte que ce type de communication au langage enfantin, pour justement nous infantiliser, cachait au contraire toute la naïveté des leaders du moment et surtout toute la méconnaissance scientifique des dangers de ce virus qui s’introduisait dans la population mondiale.
Pour celles et ceux dont les valeurs sont déjà liées à l’entraide, à la protection des personnes vulnérables, sachez que votre empathie a un rôle important dans la survie de l’espèce, comme le soulignait le géographe et anarchiste russe Pierre Kropotkine dans son essai L’entraide : un facteur de l’évolution, « l’homme n’est pas un loup pour l’homme », surtout s’il n’a pas été conditionné comme tel par une société capitaliste qui a travesti ses valeurs.
Même s’il nous semble irréaliste de changer de système, on peut tout de même forcer nos gouvernant·e·s à le réglementer en diminuant le libéralisme économique tout en augmentant l’empathie qui le caractériserait dans un futur rapproché. Une utopie ? Peut-être, mais aussi notre dernière carte dans ce Monopoly.
A-t-on vraiment besoin de faire passer notre image sur un écran pour être vivant et en harmonie avec les causes qui deviendront incontournables dans l’avenir ? Je ne parle pas de ces fausses causes autour du politiquement acceptable comme le nom en N, mais de celles qui impliquent la survie des espèces vivantes sur notre planète bleue. Dans un contexte de changements voulus par plusieurs, on devrait aussi s’inquiéter de ne pas faire disparaître en même temps, la singularité, les différences, les désaccords, car c’est dans ce terreau que l’homme ou la femme trouve l’élan de leur créativité. Leur imagination a besoin du dynamisme d’une personne éveillée et non de la docilité de celle endormie.
La confrontation dans un dialogue sain et l’engagement sont des moteurs d’invention plus que le consumérisme. Manger local, faire moins de bruit, moins polluer, cela devrait être des habitudes qu’on aurait dû adopter depuis longtemps, bien avant de s’occuper des besoins de son nouveau chien. Avant et après la pandémie, c’est un monde tout aussi chaotique qui nous attend, mais on ne le voit pas. Surveillez l’augmentation des animaux abandonnés dans les SPCA de votre région dans les prochaines années…
*« La solidarité pour la survie de l’humanité », Félix Gadoua, étudiant à la maîtrise en sciences politiques à l’Université de Montréal, Le Devoir, 25-26 avril 2020.