Ces humains qui murmuraient à l’oreille des plantes

texte Dr François-Olivier Hébert | consultant scientifique pour la Clinique la croix verte et porte-parole de l’AQICM

 

Vous avez déjà tenté de parler aux plantes ? Cette tâche à la fois ésotérique et un peu loufoque n’est toutefois pas totalement dénuée de sens scientifique ! Certes, les plantes ne possèdent ni oreilles, ni bouche, ni yeux, mais, chez certaines plantes, le système de communication interne à l’échelle moléculaire peut utiliser des voies de transmission de l’information analogues à celles du corps humain. C’est le cas notamment du Cannabis sativa, plus communément connu sous son nom vernaculaire « marijuana ». Cet organisme végétal est l’une des plus anciennes plantes à avoir été cultivée et sélectionnée par l’humanité pour des raisons spirituelles, thérapeutiques, utilitaires et sociales. Outre ses qualités fibreuses remarquables et inégalées (impliquées dans la fabrication de textiles, matériaux de construction et divers types de cordage), la plante de cannabis démontre également des propriétés biochimiques extrêmement complexes et diversifiées qui ne trouvent que très peu de comparatifs dans le monde végétal.

 

Parmi les centaines de trésors moléculaires bien dissimulés à travers les tissus organiques de cet être vivant, ce sont plutôt les molécules de phytocannabinoïdes qui retiennent davantage l’attention du public. Ces molécules forment une classe très distincte et unique de composés organiques, dont le plus connu est le Δ9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC, ou tout simplement THC). Simplement dit, les phytocannabinoïdes, principalement retrouvés dans la résine produite par la plante, ne sont ni plus ni moins que de longues chaînes d’hydrocarbures. On pourrait les considérer, au bout du compte, comme de longs acides gras. Le THC est responsable de l’effet enivrant et psychotrope du cannabis, mais la plante produit plus d’une centaine de phytocannabinoïdes très similaires les uns aux autres et qui sont tous construits à partir des mêmes molécules de base dans la plante. Un autre phytocannabinoïde qui retient l’attention actuellement dans nos sociétés est le cannabidiol (CBD), et plus marginalement le cannabigérol (CBG), le cannabinol (CBN) et le cannabichromène (CBC). Parmi tous les phytocannabinoïdes, certains sont dits « psychoactifs » (principalement le THC), c’est-à-dire qu’ils stimulent notre système nerveux central en créant un état de détente et d’euphorie, alors que d’autres (comme le CBD, par exemple) sont considérés comme « non psychoactifs », car ils ne modifient pas directement l’état de conscience et la perception de l’individu qui en consomme. C’est l’une des plus importantes découvertes scientifiques des 60 dernières années en physiologie humaine qui nous a en fait permis de comprendre pourquoi l’humain réagit si promptement et efficacement au cannabis : c’est grâce à son système endocannabinoïde (SE). Il s’agit d’un système physiologique crucial pour le corps humain qui a été conservé au cours de l’évolution chez plusieurs espèces animales (oiseaux, amphibiens, reptiles, mammifères et même certains invertébrés marins).

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Le SE est en fait responsable du maintien, de la régulation d’une communication adéquate entre les organes et les systèmes physiologiques comme la réponse à la douleur, la température corporelle, le pH, plusieurs processus neurocognitifs, la mémoire, la faim, la digestion, l’immunité, la production et la connexion des neurones, la densité osseuse, plusieurs fonctions associées au système reproducteur, et bien d’autres. Le SE est donc essentiellement un système de communication à travers tout le corps qui permet d’envoyer et de recevoir des messages chimiques pour contrôler les fonctions physiologiques des cellules et organes. Il existe principalement deux messagers chimiques appartenant au SE et produits naturellement par nos cellules : l’anandamine (arachidonyléthanolamine, ou AEA) et le 2-arachidonylglycérol (2-AG). Ces molécules font partie de ce que l’on appelle les « endocannabinoïdes » (donc des molécules « endogènes », par opposition aux phytocannabinoïdes de la plante de cannabis). Ces molécules sont distribuées à travers tout le corps via la circulation sanguine et se fixent entre autres à des récepteurs à la surface des cellules que l’on nomme CB1-R et CB2-R « récepteurs à cannabinoïdes 1 et 2 », un peu à la manière d’une clé (le cannabinoïde) et d’une serrure (son récepteur). Lorsque la clé entre dans la serrure, la cellule enclenche un ensemble de processus métaboliques spécifiques qui dépendent du type de cellule, du tissu dans lequel elle se trouve et de l’état métabolique de l’organisme. Or, comme c’est souvent le cas en biologie moléculaire, les récepteurs CB1-R et CB2-R peuvent accueillir plusieurs « clés » différentes et la réponse de la cellule dépend de l’affinité du récepteur pour la molécule. C’est pourquoi les phytocannabinoïdes, comme le THC et le CBD par exemple, s’ils se retrouvent dans la circulation sanguine, peuvent se fixer littéralement à n’importe quel type cellulaire dans notre corps qui exprime les récepteurs CB1-R/CB2-R à leur surface (et plusieurs autres récepteurs également qui ne font pas l’objet de la présente chronique). Mais tous les phytocannabinoïdes ne sont pas créés égaux ! Puisqu’ils possèdent une structure biochimique différente, le THC et le CBD diffèrent dans leur affinité pour les récepteurs à cannabinoïdes et, par conséquent, n’agiront pas de la même manière sur les cellules et sur notre corps. De par sa structure inhérente, le THC possède une bien meilleure affinité pour nos récepteurs cellulaires en comparaison du CBD qui lui, ne se fixe que très peu, voire pas du tout, dans la « serrure principale » des CB1-R et CB2- R. Le CBD est un « modulateur allostérique négatif » des récepteurs à cannabinoïdes dans notre corps, c’est-à-dire qu’il se fixe aux CB1-R et CB2-R, mais à un autre endroit, dans une « serrure secondaire » au récepteur. Lorsque le CBD interagit avec CB1-R et CB2-R, il diminue leur activité et a comme conséquence de réduire de manière générale l’action du SE. Le CBD aura également comme conséquence de faire augmenter les concentrations naturelles d’AEA et 2-AG dans la circulation sanguine. Si l’on résume, le THC a un impact direct sur les récepteurs, en stimulant le SE, alors que le CBD a un impact indirect sur le SE, en réduisant son activité. C’est pourquoi on recommande en général de consommer du CBD pour contrer d’éventuels effets psychotropes indésirables du THC lorsque consommé en trop grande quantité : le CBD viendra diminuer la réponse du SE au THC et ainsi diminuer la réponse euphorique du système nerveux central (un peu comme un antidote au « buzz » de cannabis). Et c’est pourquoi il est possible d’intervenir sur un large éventail de conditions médicales à l’aide du cannabis : en stimulant le SE de diverses manières (directes et indirectes), il est possible d’activer ou diminuer les voies physiologiques mises en cause dans la maladie et ainsi gérer plusieurs symptômes associés, même guérir à long terme dans plusieurs cas.

Le THC est donc tout indiqué dans des problèmes de santé où une stimulation directe du SE est requise, par exemple des cas d’Alzheimer et de démence, de sclérose en plaques, de douleurs chroniques (fibromyalgie, arthrite, arthrose, douleurs cancéreuses, maladie de Crohn), ou de stress post-traumatique. Quant à eux, les effets indirects du CBD sur le SE peuvent être utilisés pour des cas d’épilepsie pédiatrique réfractaire aux traitements pharmacologiques conventionnels, ou alors dans les cas de neuroinflammation (traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral), de maladies auto-immunes ou de troubles physiologiques causant de l’inflammation générale dans les tissus (exemple : infections pathogéniques comme les cas de maladie de Lyme par la bactérie Borrelia burgdorferi). Ce que la recherche des 30 dernières années nous indique, c’est que l’administration d’un mélange composite de plusieurs phytocannabinoïdes, donnant à la fois des effets directs et indirects sur le SE, possède une efficacité physiologique supérieure à l’administration de seulement l’une ou l’autre des molécules isolées (par exemple dans certains cas de cancer, d’épilepsie et de douleur chronique). La science du cannabis en est donc à construire des connaissances à savoir quand et comment utiliser quel ratio de quelles molécules dans quelle situation, un domaine du savoir qui est en constante évolution depuis maintenant plus de 10 ans.

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« Si l’humain cultive du cannabis depuis aussi longtemps que le millet, le riz et l’orge, cette plante mérite humblement d’être réintégrée dans nos cultures […]. »

 

L’un des avantages de tels traitements au cannabis par rapport à plusieurs molécules pharmaceutiques de synthèse couramment utilisées, est que le SE peut être stimulé de manière chronique à long terme par les phytocannabinoïdes sans créer d’effets secondaires dangereux ou létaux (comme c’est le cas par exemple pour les opiacés, antidouleurs stéroïdiens ou anticonvulsivants). Les patients possèdent donc une qualité de vie et une espérance de vie augmentées dans plusieurs cas. Le profil de sureté du cannabis pour la santé humaine se classe parmi les substances jugées « à faible risque » comme la caféine notamment, ce qui représente des risques pour la santé publique de l’ordre de 1 000 à 10 000 fois moins sévères que l’alcool, le tabac (des substances récréatives), et la plupart des autres drogues (exemples : morphine, fentanyl, amphétamines). Qui plus est, le cannabis, consommé de manière chronique dans la population, a pour effet de réduire la consommation d’opiacés, d’alcool, d’antidépresseurs et d’antidouleurs, améliore l’indice de masse corporelle, réduit les cas d’obésité en améliorant la réponse à l’insuline, et augmente la qualité de vie chez les populations vieillissantes (réduction des cas de démence, amélioration des symptômes de Parkinson et d’Alzheimer, maintien des fonctions cognitives et neuromotrices). L’avantage est qu’une consommation chronique responsable en dose raisonnable permet de générer la plupart des bienfaits de la plante sur la physiologie humaine sans devoir être constamment sous influence : à raison d’une consommation quotidienne, voire une consommation hebdomadaire, les effets bénéfiques peuvent se faire sentir. Si l’humain cultive du cannabis depuis aussi longtemps que le millet, le riz et l’orge, cette plante mérite humblement d’être réintégrée dans nos cultures, lui redonnant ainsi les fonctions sociétales pour lesquelles nous l’avons sélectionnée depuis des millénaires.

 

 

 

 

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