texte Priscilla Winling | photos François Gamache affiche Stéphanie Robert
En cinéma documentaire, marier le fond et la forme, avoir le souci de la cinématographie, tout en développant un regard, une voix distincte dans le propos, est une montagne qu’on ne finit jamais de gravir.
C’est tout l’enjeu du documentaire de création, faire du cinéma, art de l’artifice par excellence, avec la matière du réel, rendre compte du monde.
C’est cet ouvrage sans cesse remis sur le métier qu’effectue Nicolas Paquet.
Si ses films se reconnaissent par leur esthétique sobre et sereine, où le cadre contemplatif convoque la poésie des petits détails, c’est par leur traitement sociologique qu’ils se caractérisent.
Avare de commentaires, Nicolas Paquet laisse parler les gens. Il leur donne la place et le temps pour le faire. Et leurs propos tissent lentement la toile complexe d’une réalité nuancée. Dans son quatrième long métrage, Chef.fe.s de brousse, les chef.fe.s en question, Colombe St-Pierre au Bic, Kim Côté à Kamouraska et Pierre-Olivier Ferry à Grand Métis, font rimer nourriture et politique.

Pas de discours lénifiants ni de pelletage de nuages ; ces chef.fes ont la tête sur les épaules, la langue aussi aiguisée que leur couteau, et s’ils.elles. rêvent, c’est les yeux grands ouverts. Et déterminé.e.s. Il s’agit d’habiter le territoire par le goût, ni plus, ni moins, et reconquérir par l’assiette une cuisine qui ressemble aux Québécois.es, au-delà du sirop d’érable et de la poutine.
Véritable mission des protagonistes, leur démarche s’inscrit dans la volonté de se nourrir de la terre où ils habitent. Ici, le bonheur des papilles est dans son pré, chez les fournisseurs de la région, le produit de la chasse et de la pêche du coin, et dans les dizaines de plantes salines qui bordent le fleuve. Au-delà de la proximité géographique, il s’agit de chercher une communion de la fabrique du goût, en complicité avec les producteur.rice.s. La tradition est réinventée une recette à la fois. La gastronomie québécoise, argument d’attractivité des régions, ces chef.fe.s de brousse y croient. Il ne s’agit pas de se fermer au monde, mais au contraire, de redécouvrir le sien pour mieux l’offrir. Colombe St-Pierre sait exactement quel chemin elle veut tracer : celui de l’émergence d’une cuisine identitaire.

Quitte à défricher son chemin à la machette. Elle n’est pas la seule, ni dans le Kamouraska ni dans le Québec. C’est la même quête qui anime Kim Côté, façon chef chasseur. Quant à Pierre-Olivier Ferry, il vise l’autosuffisance végétale, avec ses serres d’herbes et de fleurs comestibles, prêt à en partager ses merveilles. Au-delà des enjeux économiques, pour Colombe, Kim et Pierre-Olivier, se nourrir du territoire qu’on habite, c’est faire oeuvre de sensibilisation quant aux ressources de ce dernier, et le protéger. C’est se battre, quand on est petit.e restaurateur.rice, pour obtenir des produits frais locaux qui partiraient à Montréal ou en Chine. C’est inlassablement faire connaître le goût propre à la cuisine de région en région, aux Québécois.ses comme aux gens de passage. Pour créer un mouvement, faire acte de convivialité et pratiquer la décroissance par le goût. Être autonome.
Depuis 2004, au Canada, on compte plus de 80 % d’habitants en zone urbaine. Peu font le chemin inverse.
Volontairement optimiste, comme il le dit lui-même, le cinéma de Nicolas Paquet s’intéresse à la résurgence rurale, ce retour à la terre au-delà des clichés. Avec Chef.fe.s de brousse, le cinéaste tient un propos désormais plus politique, au sens premier du terme : celui qui concerne le.la citoyen. ne du territoire où il.elle vit.
Et si le Bas-Saint-Laurent n’était que la première vague de fond ? Chef.fe.s de brousse, le dernier long métrage de Nicolas Paquet produit par FranC doc, sera projeté en première au Festival du cinéma documentaire de Gaspé, Vues sur mer, le 12 avril prochain, le 24 avril à St-Fabien, le 26 du même mois, dans la salle communautaire de Kamouraska et le 7 mai à Paraloeil à Rimouski.
Facebook : Chef.fe.s de brousse
