Je l’avoue. Je suis fan des photos de Paillé. C’est hot. Qu’on aime ou pas, on ne peut pas être indifférent. On parle d’un génie artistique, d’un sultan de l’image, un gitan de son époque, qui vit de son art, ou plutôt l’inverse. Il incarne son art et sa vision du monde entre la recherche et l’incertitude du renouveau. Après notre entrevue, je suis devenu fan de l’artiste.
Busque : En guise d’avant question, d’où viens-tu et quel âge as-tu ?
Benoit Paillé : je viens de Trois-Rivières et j’ai trente ans, je crois. C’est bizarre, j’ai trente ans, mais je renouvelle toujours mes cercles d’amis aux deux ans. J’ai trente ans et j’ai déjà eu cinq cercles.
B. : En quoi est-ce que c’est important ?
B. P. : C’est super important parce que la vie d’une personne, l’art d’une personne ce n’est pas que son art ! C’est un contexte de réalisation et je m’autorise à toujours être en mouvement. Je ne fais pas ça parce que ça m’amuse. Oui, ça m’amuse, mais je me pousse aussi. C’est pour créer différemment, c’est pour avoir accès à des lieux auxquels je n’aurais pas accès autrement, c’est pour me rendre moins paresseux. Sinon, je suis paresseux.
B. : Ces temps-ci, tu fais des photos avec un flash rose. Est-ce un nouveau style ?
B. P. : Je n’ai pas de style. Je fais toujours des tests. Toutes mes photos sont des tests, tout le temps. C’est pour ça que j’ai de la difficulté à travailler avec d’autres personnes.
B. : Pourtant, quand j’ai vu tes photos à Trois-Pistoles (dans le cadre du tourisme de la MRC des Basques), par exemple, j’ai su qu’elles étaient les tiennes. Par le style à « Benoit Paillé ». Dans ta façon de travailler, ne sens-tu pas que ce que tu es s’en dégage ?
B. P. : Oui, oui. Je pense qu’on est bien déterminés dans la vie. Ma pensée est très orientée vers le déterminisme, même s’il y a de petites choses qu’on peut travailler, mais à peine. Mon style vient manifestement du contexte de vie que j’ai eu : les études que j’ai faites, les connaissances que j’ai acquises. J’ai toujours dit : « on crée ce que l’on sait ».
B. : Tu travailles plus souvent avec des femmes qu’avec des hommes. Pourquoi ?
B. P. : C’est vrai ! Mais ça, c’est le contexte de réalisation de ma vie, encore une fois. Je ne crée pas avec des modèles, je crée avec des gens qui m’entourent, des amis.
B. : Pourquoi demandes-tu à une personne plus qu’à une autre de se faire prendre en photo ?
B. P. : Je crée vraiment dans la spontanéité. Tout mon travail consiste à permettre et à créer la spontanéité.
« On n’est même plus de vraies personnes, on est une image qu’on essaie de médiatiser avec une autre image. »
B. : Si je regarde tes photos, je constate que tu ne prends pas vraiment de personnes laides, tu prends plutôt de belles
personnes. Pourquoi ?
B. P. : On peut rendre tout le monde beau, c’est pour ça. Tout ça, c’est de l’image et tout ça, c’est du mensonge. Il n’y a rien de vrai dans l’image. On vit dans un monde de l’image en plus, on vit dans un monde médiatisé par les images. On n’est même plus de vraies personnes, on est une image qu’on essaie de médiatiser avec une autre
image.
B. : Est-ce pire avec Internet et Facebook ?
B. P. : Encore plus, oui. En ce moment, je me sens comme un micro marketeur artistique de ma propre vie. Je suis comme une micro agence de publicité. Je suis la pointe moderne de ce que le capitalisme voudrait. Je suis hyper mobile, hyper créatif, flexible,amateur de sensations – parce qu’on ne consomme plus des objets, on consomme des sensations, on consomme des expériences comme le voyage, le tourisme – et en plus je fais de la photo. En ce moment, je prends confiance en mes capacités. Je n’ai jamais confiance en mes capacités. Je doute. C’est important de douter.
B. : Pourtant, quand tu vends un gros contrat, ne te fais-tu pas confiance ?
B. P. : Si je le fais, c’est parce que j’ai besoin d’argent ! Je suis allé à Paris faire un contrat pour Google Pro et j’étais en crise de panique chaque jour pour les séances ! Je ne considère jamais que l’argent qu’on me donne vaut ce que je fais parce que je le fais pour moi-même gratuitement tout le temps. Par la suite, je suis content d’avoir chargé un bon prix pour faire quelques photos. Ça, c’est agréable.
B. : Tu ne peux pas dire que tu n’as pas confiance en toi si tu factures tes clients.
B. P. : Je sais que je suis vraiment bon, mais je suis vraiment bon pour produire dans le contrôle de ma spontanéité. C’est dans ces circonstances que je suis bon à produire. C’est pour ça que je trouve que chacune de mes photos est extraordinaire. C’est par rapport à moi-même. Quand je fais de la photo, je veux m’impressionner. Quand c’est pour un client, c’est lui que je dois impressionner. Donc, je ne travaille plus pour moi, donc je ne suis plus dans la spontanéité, donc je ne suis plus dans ma zone de confort, donc ça me fait paniquer. J’ai vraiment de la difficulté à créer de cette façon parce que ce n’est plus de la création. Je ne peux pas croire que la publicité emploie souvent le mot « création ». C’est du neurolangage, c’est des mensonges, ce n’est pas de la création, c’est de la vente.
B. : Que penses-tu des photos de studio ?
B. P. : C’est amusant, j’en fais parfois. C’est de la théâtralisation. C’est d’essayer de rendre la personne belle avec des artifices. Je fais la même chose, mais je suis plus hypocrite et je le fais mieux. C’est ça, la photo. C’est juste du mensonge, c’est juste de la théâtralisation ! La photo studio, c’est toujours insidieux parce que c’est toujours en train de vendre quelque chose. On essaie de tromper les gens. C’est déjà de les tromper à la base de faire de la photo parce que c’est de manipuler un langage visuel. Quand on manipule bien le langage visuel, on peut manipuler ce que les gens voient, on peut faire exister des choses qui n’existaient pas. Je pense que les choses existent à travers notre regard. Sans notre regard, les choses n’existent pas, ce sont des idées. En prenant la photo, on capture la chose, on la fait exister, on la pointe aussi.
B. : Au Québec, où te situes-tu dans le monde de la photo ? Es-tu connu ?
B. P. : Oui, je suis connu. Je sais que ça fait « grosse tête ». Je sais que j’ai un dialogue avec le monde de la photo, mais pas un dialogue institutionnel. Je reçois des dizaines de courriels d’étudiants à chaque année qui me demande une entrevue parce qu’ils ont un travail à faire à l’école. Je suis bien présent sur Internet. Je ne fais rien d’institutionnel. J’en ai fait il y a cinq ans. J’ai fait une demande de dossier qui a été acceptée, puis une autre qui a été refusée et j’ai fait tant pis. Je ne veux pas me compliquer la vie à monter un dossier,
à aller payer pour exposer dans un centre d’artiste au Québec, pour ensuite le mettre sur mon CV, puis dire : « regarde il y a 125 personne dans ma ville qui ont vu mon exposition sur de beaux murs blancs », quand je peux publier une photo sur Internet qui va être vue par 25 000 personnes. On est vraiment dans un changement. Je me questionne beaucoup par rapport aux expositions d’ailleurs.

B. : Que penses-tu de la photo de laquelle on pourrait dire qu’elle est laide ? Je veux dire, de la photo où monsieur et madame tout le monde n’y voient rien de spécial et trouvent que c’est laid.
B. P. : Il faudrait commencer par décrire ce qu’est le laid… Tout est des codes. C’est souvent de l’incompréhension qui vient d’un manque de connaissances de la part de gens qui n’ont pas vu assez de photos. Ce que je regarde, quand je regarde une photo, ce n’est même pas le sujet, même pas le nu, c’est plus global, c’est ce qu’elle me fait sentir. Je suis un visionnaire. Ce n’est pas de la photo que je fais, c’est des visions que je fais. Je renie un peu mon travail quand je suis rendu un peu plus loin… Je n’ai plus l’énergie pour y accorder de l’attention. Il y a plusieurs projets pour lesquels je me suis dit que j’allais les promouvoir lorsqu’ils seraient terminés, mais non.
B. : Quels sont tes prochains projets ? Vers quoi te diriges-tu ?
B. P. : Je ne sais pas… J’aimerais m’en aller vers le Mexique. Je ne sais jamais ce que je vais faire en photo. Ce que je fais depuis deux ans, c’est des visions, c’est des souvenirs, c’est comme du documentaire de ma propre vie. Vu que je maîtrise le langage de la photo, ça devient un genre de poésie, mais, pour moi, ces photos sont du documentaire.
Ce sont des lieux que je photographie. J’ai un nouveau défi aussi : je dénonce le tourisme. Les barrières qu’on met, la façon qu’on place la nature et qu’on module le territoire pour des impératifs qui sont toujours industriels et commerciaux, tout cela crée des espaces touristiques qui sont faux. À la base, le tourisme est faux, mais, dans mes photos, en mettant des flashs roses sur des barrières ou des clôtures dans des espaces touristiques qu’on veut nous présenter, je le mets en valeur, je le souligne.
B. : D’où t’est venue l’idée de ton projet GTA (projet-photo dans l’univers du jeu vidéo Grand Theft Auto) ? Est-ce que ça vient de toi ?
B. P. : C’est de moi, oui. Tous mes projets sur mon Flickr, sur mon site Web – à moins que ce ne soit spécifié autrement – c’est du travail personnel. Je ne connais aucun artiste photographe qui soit productif comme moi.
« Je suis productif pour mon travail personnel. Ce n’est pas productif de travailler pour un autre, c’est de la « déproduction »
Le capital ne s’en va pas vers moi et ce n’est pas de l’art non plus. L’art, c’est de faire de sa vie une oeuvre d’art. Quand je travaille pour un autre, je suis en train de perdre de l’énergie pour donner à l’art de quelqu’un d’autre. Je dois perdre plusieurs contrats !
B. : Qu’aurais-tu à nous dire pour terminer ?
B. P. : Le plus important, c’est qu’on crée ce qu’on sait. Les artistes qui ne lisent pas et qui ne s’informent pas sur leur monde, qui ne lisent pas sur la philosophie et qui ne connaissent pas d’autres idéologies et d’autres façons de penser vont toujours créer la même chose. Il faut qu’on cherche et qu’on se force à se mettre dans des situations si on veut créer.
Pour aller voir le travail de Benoit :
benoitp.prosite.com
www.behance.net/benoitp
www.flickr.com/photos/benoitpaille