par Marc « The paper Man » Gagnon (Podcasteur pour le Podcast des Crinqués, geek et Bédéphile) | Technicien en documentation à la Bibliothèque François-Hertel
Je suis un adulte. Je lis des BD. Des BD pour adultes. Car oui, la BD, c’est aussi pour les adultes.
J’ai découvert la BD, comme la plupart des gens, avec Spirou, Tintin, Les Schtroumpfs et j’en passe. Quand j’étais petit, dans ma bibliothèque municipale, il y avait deux sections BD. L’une au rez-de-chaussée qui était consacrée aux BD dites pour jeune public, et l’autre au premier étage qui comprenait les BD dites pour adultes. Cette dernière était réservée aux usagers âgés de 16 ans et plus. De plus, la dame qui s’occupait de l’aide aux lecteurs et de la BD était aussi vive et impitoyable que Conan le bibliothécaire du film UHF et possédait une vision aussi perçante que celle d’Heimdall ! Bref, impossible pour moi d’y aller. Mais, j’ai la chance d ’avoir un f rère plus âgé que moi qui lui pouvait passer la vigilance de Conan puisqu’il avait l’âge de monter dans le sanctuaire interdit ! Il laissait traîner ses emprunts dans sa chambre et quand il partait, tel un voleur, j’allais consulter les BD. La première que j’ai vue et que j’ai essayé de lire était Un hiver de clown dans la série Jeremiah faite par Hermann. J’ai été soufflé par le dessin extraordinaire. Un dessin qui était pour moi du jamais vu. Et là, j’ai pris la décision que moi aussi j’irais sur l’étage des BD interdites. Me voilà donc en train de préparer mon crime et de trouver la meilleure façon de passer Conan sans me faire remarquer, et ensuite, comme un ninja, monter l’escalier qui me paraissait interminable pour avoir accès à cet endroit tant convoité. Me croirez-vous si je vous dis que j’ai réussi du premier coup ? C’est pourtant la vérité. Tel le plus discret des voleurs, j’ai merveilleusement bien réussi mon coup et j’ai réalisé toutes les étapes que j’avais prévisionnées dans ma tête la veille. Me voilà donc sur l’étage interdit. Mon cerveau était en ébullition. Que s’y cachait-il ? Quelles BD pouvaient être si importantes pour avoir un si grand contrôle sur elles ? Est-ce que d’autres Jeremiah se cachaient dans les méandres de ces rayons remplis d’albums ? Et ce jour fut un grand jour pour moi ! J’ai pénétré dans un autre monde. Un univers de trucs complètements fous et improbables pour un jeune esprit comme le mien à l’époque. Je me rappelle de m’être assis sur le vieux tapis qui couvrait le plancher pour y feuilleter L’Incal. J’ai découvert, dès ma première infraction, l’oeuvre de Arno et Jodorowsky, Alef-Thau. J’ai trouvé les autres Jeremiah et j’ai dévoré le tome 1 en moins de 30 minutes. Quand vous lisez La nuit des rapaces pour la première fois, la toute première planche vous change à jamais. Je l’ai probablement lu trop jeune, mais avec le recul, c’est cette lecture qui a forgé mon amour inconditionnel pour la BD. Pas cette BD que je lisais avant, mais cette BD qui m’était maintenant connue. C’est le jour un de ma passion. Par la suite, j’ai répété ma routine et j’ai pratiquement tout lu ce qu’il y avait à lire. J’ai connu les plus grands, Moebius, Bilal, Hermann et j’en passe. J’y ai connu Akira d’Otomo, Ghost in the Shell de Shirow, bref, j’ai eu accès au monde des grands ! Aujourd’hui, je me rends compte que cet étage merveilleux est encore interdit pour plusieurs personnes. Pas qu’elles ne veulent pas y aller, mais parce qu’il est caché à leurs yeux. En associant trop souvent la BD aux enfants, nous occultons cet univers si passionnant. Ce qui est triste, c’est que les préjugés envers la BD sont souvent véhiculés par les acteurs du livre eux-mêmes ! En ne proposant que des BD destinées aux plus jeunes, ils contribuent à garder cette association BD-enfant. Cette BD « adulte » est provocante, irrévérencieuse, sans censure. Elle parle de politique, de société, de violence, de sexe, d’amour, de la vie. Elle nous questionne, nous chamboule, nous enseigne. Elle nous permet de rentrer dans les têtes de ses créateurs et d’avoir accès à une petite partie de leur pensée. Cette BD est un univers riche et absolument extraordinaire qui doit sortir de son étage pour être présentée à tout le monde. Comme je suis un être généreux et que Noël arrive rapidement, j’ai décidé de vous présenter cinq BD à mettre sous les sapins cette année. Cinq BD réalisées par des Québécois qui ont bousculé le monde de la BD en 2017 et que vous devez absolument lire.
L’esprit du Camp, T.01. Studio Lounak. Scénario et dessins de Falardeau et couleurs de Cab.
Avec sa nouvelle BD, Michèle Falardeau nous démontre encore toute l’étendue de son immense talent. Son coup de crayon onirique est magistral et son histoire nous rappelle nos souvenirs de camp de vacances. Un récit humoristique doublé d’une petite touche fantastique. L’histoire y est palpitante et nous laisse sur notre faim ! Cab, qui nous a donné l’immense Hiver Nucléaire, nous démontre pourquoi l’auteure est considérée comme une étoile présente et future de la BD en réalisant la coloration de cette oeuvre de brillante façon.
Betty Boob. Casterman. Scénario de Véro Cazot et dessins de Julie Rocheleau.
La dessinatrice Rocheleau n’a pas besoin de présentation. Sa reprise de Fantômas avec Olivier Broquet au scénario a été saluée par la critique. Ici, elle signe avec sa scénariste une BD au sujet délicat et malheureusement qui frappe trop de femmes, le cancer du sein. Cette BD muette nous parle avec émotion et réalisme de l’histoire d’une femme qui perd un sein dû à la maladie et des conséquences de cette perte. C’est humain, triste, joyeux et ça nous brasse. Une lecture unique !
Red Ketchup 09. Elixir X. La Pastèque. Scénario de Réal Godbout et dessins de Pierre Fournier.
Red, c’est une icône de la BD québécoise. Les auteurs, avec lui, nous font rire, mais dénoncent également une société qui est imparfaite où, parfois, la fiction rejoint la réalité ! C’est gros, quelques fois trop, mais c’est un incontournable !
Comment je ne suis pas devenu moine. Futuropolis. Scénario et dessins de Jean-Sébastien Bérubé.
Une BD très intimiste pour l’auteur qui nous a donné la brillante série Radisson. C’est son histoire que nous lisons dans cette BD. Nous voyageons avec lui dans son parcours très personnel pour la recherche de son identité spirituelle. Une oeuvre magistrale qui est pour moi, l’une des meilleures BD de cette année.
Extases tome 1. Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x… Casterman. Scénario et dessins de Jean-Louis Tripp.
Monsieur Tripp est Québécois d’adoption. Il a enseigné longtemps la BD et nous a donné, avec Régis Loisel, l’une des plus belles séries qui parle de nous, Magasin Général ! Ici, il ose ! Avec son Extases, il parle sans aucune censure de sa découverte de la sexualité, de l’amitié et de l’amour. Il fait remonter en nous des souvenirs qui sont souvent trop enfouis profondément. Ici, le sexe est décrit et montré comment il devrait l’être. Voilà! La BD, c’est aussi pour les adultes !