Texte | François Genest
Vivre et se développer selon les ressources de sa niche écologique, une idée toute simple que le contexte de la pandémie nous permet d’apprécier à sa juste valeur. La niche écologique comprend l’environnement dans lequel vivent les membres d’une famille, d’un quartier, d’une ville, d’une région, d’une province ou d’un État. C’est l’endroit d’où chaque entité, de la famille à l’État, cherche à tirer les éléments nécessaires à sa survie et à son développement.
Évidemment, de nos jours, aucune de ces entités n’est parfaitement capable de parvenir à cette forme d’autonomie ou d’autarcie, mais on voit tout de même que les ressources sont de plus en plus variées et importantes à mesure qu’on passe du micro au macro-environnement.
Appliquée à l’échelle de la famille, ce principe lui propose de tirer du territoire sous son contrôle toutes les ressources qu’elle peut produire selon les habiletés propres de ses membres tout en exigeant qu’elle recycle d’une façon ou d’une autre tout ce qui n’est pas consommé : jardiner, cuisiner, entretenir, réparer, composter, etc. Comme on l’imagine bien, le recours aux ressources du voisinage, du quartier, apparait vite indispensable : on ira chercher dans cet environnement partagé des produits ou services qu’on ne peut pas produire du tout ou en quantité suffisante. Pour cela, il faut s’entendre avec ses concitoyen·ne·s, en unissant les efforts de tous et toutes pour produire, partager et recycler, chacun et chacune selon ses possibilités. Le jardin communautaire, les coopératives, les clubs de toutes sortes sont de bons exemples.
Mais, bien sûr, il faudra aller à un échelon plus élevé pour s’assurer d’un approvisionnement plus complet, plus permanent, plus varié : on s’organise alors avec les gens de sa ville, pourquoi faire autrement ? Et si notre ville ne suffit pas, on se tourne vers la région, immédiate ou plus étendue : MRC ou région administrative. Après ça, c’est le Québec, notre bleu pays. Et le Québec est un territoire riche de ses milieux naturels, de ses ressources, de son génie, de sa population. Je suis même porté à croire que le Québec a toutes les ressources en capital pour soutenir son développement.
Tout ça a l’air si évident que c’en est presque ridicule. Sauf que, dans les faits, on déborde largement de notre niche écologique, en important de plus en plus de biens et services, et donc on puise de plus en plus dans d’autres niches écologiques sans se soucier des impacts de cette production sur les gens et l’environnement qui nous les fournissent. On ignore carrément ce qu’on provoque ailleurs pour satisfaire nos besoins. Au mieux, on se console en se disant qu’on leur fournit du travail et qu’un jour, ces fournisseurs lointains vont rattraper notre niveau de vie tout en espérant secrètement et hypocritement qu’ils ne nous rattraperont jamais, parce que la planète ne fournirait pas longtemps et nous serions tous et toutes perdants. D’un autre côté, cette consommation de biens et services provenant de partout sur la planète ne nous rend pas plus satisfait·e·s pour autant. Si tel était le cas, nous n’aurions pas besoin d’en avoir toujours plus, au risque de nous enfoncer dans un endettement sans fin.

On peut toujours se désespérer du peu de conscience planétaire de nos concitoyens et concitoyennes, mais l’être humain est un animal grégaire et sa solidarité va plus facilement à sa famille, son voisinage, son pays. C’est d’ailleurs une raison qui permet de croire que de vivre selon sa niche écologique, celle à laquelle on s’identifie, est un idéal pleinement réalisable, à moyen et long terme.
L’actuelle pandémie nous fait bien voir notre dépendance de l’importation de produits essentiels de toutes sortes : ceux liés à la sécurité des équipes de personnel soignant et de première ligne ; les produits médicaux ; les produits de consommation courante (alimentation, hygiène domestique, etc.) et la liste est encore longue. Notre premier ministre en aura pris bonne note, pourrait-on croire, et voudra au moins assurer une plus grande autonomie alimentaire aux Québécois et Québécoises.
Si on pense en fonction de notre niche écologique, qui devrait nous assurer survie et développement, on en prend soin. Si on se sent impliqué·e dans la production de notre mode de vie, notre vie prend un sens, on n’a pas besoin d’acheter sans arrêt pour se sentir « être », se sentir « quelqu’un ». Et on consomme moins, parce que ce qu’on produit est précieux et notre environnement est précieux parce qu’on en dépend et qu’on ne veut pas le « gaspiller ». Prendre soin de sa niche écologique incite à « faire » plutôt qu’à « avoir » et procure la satisfaction de se sentir utile, vivant·e, productif·ve et valorisé·e.
Oui, tirer de sa niche écologique les éléments nécessaires à sa survie et à son développement ressemble à une forme de nationalisme : produire chez soi d’abord, selon nos ressources. Non, ce n’est pas une fermeture, c’est une invitation à venir partager un mode de vie basé sur un projet qui a du sens et bienvenue à tous ceux et toutes celles qui en ressentent l’attrait et sont prêts et prêtes à y contribuer.
Mais tant que notre mode de vie sera basé sur la croissance et l’enrichissement du capital, nous continuerons à dépendre de plus en plus de facteurs à l’extérieur de notre niche écologique et nous gaspillerons le capital naturel de la planète, notre seule planète. Quel économiste un peu sérieux dirait qu’il faut dilapider son capital au lieu de le préserver pour qu’il puisse profiter à tous et toutes pour des générations et des générations à venir ?
Apprendre à vivre selon les ressources de sa niche écologique, c’est consommer mieux et moins, produire plus intelligemment, partager davantage. Un jour, peut-être pas si lointain, il faudra bien s’y mettre, nous n’aurons pas le choix.